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322 L'ANE d'éloquence religieuse que l'éminente dignité des pauvres dans l'Eglise. Aussi, cet âne se pavanant dans une stalle de chanoine me paraît bien moins une atteinte au respect dû à la religion, qu'un hommage rendu aux humbles vertus de ceux qui travaillent péniblement et reçoivent en salaire plus de coups que de foin. La prose de l'âne et.ces vêpres en pot-pourri, où la joie et les larmes se heurtaient dans un rapprochement voulu, ont une signification très nette à cet égard. C'était la bom- bance, la gaieté débordante pendant un jour pour tous ceux qui, le reste de l'année, ne mangeaient pas leur content et n'avaient guère à rire que de leur misère. Il n'en étaient certes pas plus riches le lendemain, mais encore avaient-ils pendant un jour oublié leur pauvreté et éprouvé le plaisir de se croire les maîtres. C'était une forme comme une autre de la chanté chrétienne et non pas la plus mauvaise de toutes; elle disparut quand le protestantisme obligea la religion à devenir plus austère, mais moins humaine. * ** Sans sortir du moyen âge, on pourrait faire un gros volume sur les ânes et ne pas épuiser le sujet. Il y aurait à passer en revue le Roman de Renard et les innombrables fabliaux qui ont vu le jour, du commencement du treizième à la fin du seizième siècle. Mais ce serait une œuvre de longue haleine, sans compensation suffisante. En effet, beaucoup de ces récits offrent peu d'intérêt par eux-mêmes, d'autres ne sont que des copies ou des variantes plus ou moins heureuses. Enfin, tous ceux qui se distin- guaient par quelque cachet poétique, par quelque observa- tion profonde, par quelque réflexion malicieuse, nous ont été conservés dans une œuvre moins volumineuse et plus accessible à tous. Tout cela a été traduit, refondu et retou-