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THIERRIAT 39 ser au digne prêtre un souvenir de sa gratitude en lui donnant une aquarelle de fleurs peintes de sa main. C'était le 11 avril ; il lui restait deux jours à vivre. Assis sur son lit, dans les intermittences d'une respiration qui l'étouf- fait, il me donnait ses instructions avec une mémoire et une lucidité d'esprit extraordinaires. La nuit du 12, comme les nuits prcédentes, je veillai à son chevet. Il semblait sommeiller, lorsque vers cinq heu- res, au point du jour, il voulut se lever. Soutenu par moi, il se dirigea vers la pièce voisine qui regardait l'orient et le midi. Le ciel était splendide, le soleil n'était pas encore levé, mais il embrasait déjà l'horizon. Il fut frappé de ce spectacle et se crut en voyage devant le beau ciel de la Provence qu'il ne devait plus revoir. Après l'avoir long- temps admiré, il me dit : « Partons maintenant, remon- « tons en chemin de fer, retournons à Lyon. » Et nous nous remîmes en marche comme des voyageurs, car je ne voulus pas le détromper. La journée s'écoula lentement ; vers les cinq heures du soir, il reprit sa raison, me parla avec calme, voulut boire et s'assoupit ensuite jusqu'à la nuit. Il voulut encore se lever, mais ses jambes fléchis- saient et, ma belle-mère et moi, nous dûmes nous opposer à sa volonté, ce qui le mit en colère. Vers dix heures, ma belle-mère, se sentant fatiguée et voyant ses soins super- flus, se retira dans sa chambre et me laissa seul auprès du mourant. A minuit l'agonie commença. Elle fut terrible, C'était le dernier combat, la lutte de la vie et de la mort. A sa respiration oppressée succéda un râle qui grandit graduellement et devint effrayant. J'étais épouvanté, je n'avais jamais vu la mort, les heures s'écoulaient ; que pouvais-je faire ? Je lui tenais la main que j'essayais de réchauffer dans les miennes. Enfin le râle cessa, r poussa deux soupirs très doux qui furent suivis d'un pro-