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                  CHRONIQUE LOCALE

    On lit dans le Salut public : « Un crime affreux tient d'être com-
 mis.... » Suivent trois colonnes d'attentats divers.
    On lit dans la Décentralisation : « Hier, des malfaiteurs ont atta-
 qué, à la tombée de la nuit... » Suit une page de forfaits des plus
 noirs.
    On lit dans le Courrier de Lyon, : « Notre ville est une forêt de
 Bondy... On vient d'arrêter       » Suit une kyrielle de faits odieux,
 de vols, de meurtres, de suicides, de rixes à donner la chair de
 poule.
    Oa lit dans le Progrès, le Petit Lyonnais, le Censeur, le Journal
de Lyon, la Gazette de Lyon et autres journaux fie toutes couleurs une
série de guet-apens, de mauvais coups, d'horreurs à faire dresser les
cheveux sur la tète. Le bon bourgeois, en se levant, se hâte d'avaler
cette littérature , la seule qu'il puisse maintenant digérer et, en
disant adieu à sa famille, avant de se rendre à ses affaires, il se de-
mande si on a retrouvé l'assassin de La femme coupée en morceaux.
Voilà aujourd'hui la préoccupation de la France entière.
   Aussi comme l'abonné est un être aussi rare que précieux, on an-
 nonce, à grands renforts d'affiches : la Résurrection de Rocambole.
 C'est le héros du jour. Voilà un gaillard qui n'y va pas de main
 morte et qui saii filer un ennemi, se grimer, se déguiser, suivre une
 piste, organiser un enlèvement, machiner une maison, débrouiller un
 souterrain et. au besoin, disperser un bataillon, rien ne pouvant ré-
 sister à sa force et à sa valeur.
    Et ce n'est pas seulement le bourgeois, le propriétaire, le négociant
 qui lisent et admirent Rocambole. L'ouvrier, le travailleur qui aurait
 tant besoin d'avoir l'esprit libre et le cœur sain, la jeune couturière,
la petite modiste, la dame de comptoir se passionnent pour ce héros
d'aventures et s'imaginent que c'est là !e monde, la société, la vie ;
 que les allées de traverse conduisent toutes à des souterrains, les ca-
ves à des précipices sans fonds ; que tous les bouchons sont des
coupe-gorges et les passants des coupe-jarrets.
   Et il a fait école, ce bon M. Ponson duTerrail, cetillustre descen-
dant du Chevalier sans peur et sans reproche. Après lui, les romans
à grand orchestre ont pullulé, et on ne peut ouvrir un journal sans
trouver, du haut en bas, de grands coups de dagues ou de poignards.
   Nous sommes loin de de Florian, de Gessier,de Marivaux, même de
MM. de Châteaubrhnd et de Lamartine, écrivains fades, monotones,
qui n'ont que du style, du sentiment, et des idées qu'il faut chercher
pour les comprendre ; encore plus loin de J^an-Jacques Rousseau,
le songeur, de Fénelon, le précepteur, de Bossuet, l'historien et le
sermonâire, de Pascal, le géomètre dont les livres ont fait leur temps,
qui ont été admirés, sans doute, mais qu'on ne lit plus guère aujour-
d'hui. Ce n'est pas de ce côté que se porte notre esprit.
   Eh bien ! tant pis. Peut-être y a-t-il encore de loin en loin des
gens qui préfèrent une belle page à un fait divers, et si ce n'est plus Ã