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                       l,E MYTHE D ' Ã O .                 99

 cette tradition de leur bouche), Io était la fille d'un roi
d'Argos, Inachus, que des marchands phéniciens enlevè-
rent. En Phénicie, on racontait la chose un peu autrement:
elle s'était laissée séduire par le chef du vaisseau, et avait
fui avec lui pour cacher sa honte » (I. 4 -5). Ainsi donc il y
avait en Orient (car on ne peut soupçonner Hérodote de les
avoir inventés) deux récits qui présentaient l'aventure d'Io
comme un fait historique ; si bien que l'historien des
guerres médiques la prend pour point de départ des que-
relles entre les Grecs et les peuples d'Asie. Ces deux ver-
sions étaient étrangères aux Grecs, elles avaient cours
précisément chez leurs ennemis.
    Ainsi, ce qui était mythe en Europe était histoire en
Orient. Et ce n'est point là un fait isolé ; sans parler deMé-
dée, qui n'appartient qu'à demi à la mythologie, Hérodote
nous montre encore un vrai personnage mythique, Europe,
ramenée aux proportions de l'humanité. Du reste, on a
remarqué avec raison que l'histoire d'Europe semble n'être
que celle d'Io renversée. Ces enlèvements réciproques de
jeunes filles ont dû être fréquents aux temps barbares, et
l'imagination populaire, surtout en Grèce, était très-dis-
posée à dénaturer par le mélange du merveilleux les faits
les plus simples.
    Voilà pour l'évhémérisme. Mais les anciens avaient déjà
soupçonné une toute autre origine à certaines parties de
ce mythe. La première trace de cette opinion se trouve
dans trois vers d'Euripide [Phènic. 4 415. Tauchn.), où,
décrivant sur un bouclier la figure d'Argus, qu'il dési-
 gne par son nom habituel de Panoptès , « celui qui voit
 tout, » il le représente le corps tout tacheté d'yeux « dont
 les uns s'ouvraient au lever des étoiles, les autres se fer-
 maient à mesure qu'elles se couchaient. » Argus sous
 ces traits est manifestement une personnification du ciel