page suivante »
LETTRES INÉDITES. 501
n'auriez à supporfer que celle du voyage, qu'on peul alléger
beaucoup en le faisant par eau en grande partie. J'insiste et
je reviens sur ce point, parce que j'y trouve toujours un grand
plaisir et que je sais que quelques mois passés à Paris vous
en feraient aussi. Mme de B et M D' .... sont bien indul-
gents de trouver quelque plaisir à mes lettres ; je vous gron-
derais presque de leur avoir fait part de tous nos rabâchages,
si je ne savais qu'ils partagent vos sentiments pour moi.
Je ne vous manderai point de nouvelles, vous savez que ce
n'est pas mon usage d'empiéter sur les fondions des gazeliers.
Je vous dirai seulement que, malgré l'excessive el incom-
mensurable cherté de toutes marchandises, le luxe n'en est
pas moins poussé jusqu'à l'extravagance. Outre les spectacles
et les bals particuliers qui ont été très nombreux et très
brillants tout le carnaval, on en donne un à chaque décade
à l'hôtel de Richelieu, qui est le rendez-vous des dames les
plus élégantes et des muscadins les plus recherchés. On dit
que la parure des femmes est du dernier brillant, et je n'ai
pas de peine à le croire. Les voitures, qui, il y a deux ans,
étaient fort rares, sont très-nombreuses aujourd'hui. 11 y a
beaucoup de cabriolets, et beaucoup de fort belles dames
conduisent elles-mêmes. Les rues sont cependant de vraies
cloaques et, depuis quinze jours surtout que la pluie ne dis-
continue pas, elles sont devenues impraticables, ainsi que les
Tuileries, dont le terrain est absolument gâté depuis le
camp de vendémiaire qui les a occupées deux mois. On les
ferme tout de suite après le coucher du soleil, ce qui n'est
nullement gracieux pour nous autres pauvres habitants du
faubourg.
Malgré l'excessive cherté des denrées, on s'aperçoit peu
de la misère ; on voit peu de mendiants, parce que ce sont les
gens honnêtes qui meurent de faim. Par là môme aussi on