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354 DEUX ITINÉRAIRES • des blocs erratiques la parsèment; de vieilles moraines çà et là mouchetées de neige apparaissent de lous les côtés, et le torrent de Y Eau noire, fort exactement qualifié, court et gronde avec de sinistres gémissements au milieu des entas- sements de rochers qu'il creuse et qu'il lézarde. Après avoir marché pendant trois heures au sein de cet austère paysage , on aborde la base d'une espèce de cône énorme taillé presque a pic et entièrement composé d'ar- doises mobiles, friables, polies et glissantes. C'est alors que la montée devient un rude exercice ; on. recule de deux pas alors qu'on en fait un. C'est l'histoire du rocher de Sisyphe, a cette différence près qu'on est soi-même le rocher. Les gui- des, dont le pas est plus assuré, vous soulagent par inter- valles en vous attelant a eux, Enfin, après deux heures de cette gymnastique incom- mode, on atteint une arête ardoisée d'un mètre de largeur environ, mais d'une pente beaucoup plus douce, et qui est à cheval pour ainsi dire sur un double abîme qui s'ouvre béant à la droite et à la gauche du voyageur. C'est ce fa- meux trait d'union que j'avais toujours singulièrement re- douté en imagination depuis la relation de M. B , collabo- rateur du Courrier de l'Ain, Son récit, très-spirituel du reste, m'avait donné par anticipation la chair de poule a la pensée de ce fameux pas a affronter. J'avoue que je fus très-agréa- blement surpris de le trouver fort exagéré. Tout voyageur, je ne dirai pas exempt de vertige, mais quelque peu habitué aux ascensions de ce genre , n'éprouvera aucune émotion a ce passage. Il n'exige du reste qu'un quart d'heure au bout duquel vous abordez la neige durcie de l'extrême cime du Buet (10,500 pieds au dessus du niveau de la mer). Encore un autre quart d'heure, et vous avez dompté le colosse. C'est alors que les yeux fascinés contemplent une de ces scènes que la plume se refuse à traduire. Est-il un narrateur,