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LETTRES DE L'ÉCOLE NORMALE 75 gens-là aient glorifié toutes les vilaines passions; ils les portent sur leur visage. Une seule personne attirait mes regards, et je dois avouer que je n'ai pas cessé de la regarder; c'est la duchesse d'Orléans, qui était dans une tribune à côté de la mienne. Une toilette très élégante et très sévère, et de très bon goût, cette figure simple, douce, très modeste, un petit sourire spirituel sur des lèvres qui ne doivent s'ouvrir que pour dire des choses nobles, décentes, bien- veillantes, affectueuses, tout cela me dédommageait des impudentes faces d'en bas. Hugo lui-même, cet homme qui a fait de si jolies choses, il est vrai qu'il y a longtemps, a sur la figure un cachet de vanité et d'affectation qui me répugne plus que je ne puis le dire. Aucune espèce de recueillement; ce qui .me semble pourtant, la condition indispensable de la poésie, si la poésie a des conditions ; une noblesse de traits très équivoque ; de grands cheveux qu'il ramène derrière ses oreilles de la façon la plus bizarre du monde et qui doivent faire lever sur lui tous les lorgnons des lieux où il passe. Cet ensemble m'avait déjà peu pré- venu en sa faveur quand il a ouvert la bouche. Il y a sans contredit des beaux traits dans son discours ; il est impos- sible que cet homme parle pendant deux heures sans rien trouver de distingué. J'ai été ému quand il a montré M. Lemercier voyant tomber tour à tour la tête de Louis XVI qui avait été son premier protecteur, la. tête de la duchesse deLamballe, sa marraine, la tête d'André Chénier son intime ami ; et dans la mort de ces trois personnes chéries, contem- plant la mort de tout ce qu'il y a de plus divin après Dieu, la royauté, la beauté et le génie. Encore mon émotion a-t-elle été un peu surprise ; la pensée est juste au fond,car la vertu est certainement bien plus sainte que la beauté; et le génie, c'est beaucoup dire pour André Chénier ; c'est