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204                    LA COMPLAINTE

médiocrité, comme on peut en juger par le couplet qui
terminait celle de Pranzini :

                 La Cour d'assises de la Seine
                 Jugea ce scélérat,
                 La tête on lui trancha,
                 — Il méritait cette peine —
                 Un assassin pareil
                 Ne d'vait pas r'voir le soleil !


   Même pour un criminel qui s'en prenait aux femmes
légères, cela me semble traité bien légèrement.

   Etant donné notre esprit frondeur, la Complainte poli-
tique'devait trouver chez nous un terrain tout préparé.
   C'est au xvie siècle qu'elle fait, — sous ce nouveau
travestissement, — son entrée en scène.
   Depuis son origine, c'est-à-dire depuis le jour où l'homme
ayant appris à exprimer ses sentiments dans un langage
rythmé, avait aussitôt éprouvé le besoin d'exhaler ses
plaintes et de raconter ses deuils sur un mode douloureuse-
ment monotone, la Complainte pleurait sérieusement;
rarement elle était sortie de sa formule première, synthé-
tisée par les lamentations de Jérémie qui se psalmodient
encore dans nos églises le Jeudi-Saint et ne sont, en réalité,
qu'une longue Complainte passant en revue les tristesses
du peuple de Dieu.
    Ai-je besoin de rappeler que ces lamentations ont donné
naissance, — dans notre langue, — au mot « Jérémiade »
appliqué à une plainte réitérée et importune.
    Ens'attaquantà la politique, la Complainte se transforme,
elle devient forcément satirique. La haine, la passion,
l'ironie, — féroce parfois, — percent sous ses larmes.