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UNE PRIMA DONNA EN PROVINCE NOUVELLE. I. En 1822, — cette nouvelle commence à être ancienne, — en 1822, il y avait au Grand-Théâtre d'une opulente cité manu- facturière, peu éloignée de Paris, une jeune et jolie actrice joi- gnant aux grâces naturelles de sa personne, une charmante voix mezzo-soprano et une parfaite intelligence de la scène. Cette voix pure, souple, facile, jetait à profusion les trilles , les rou- lades , les points d'orgue et toutes les fioritures étincelantes , dont l'illustre et spirituel maestro Rossini a ciselé ses œuvres. On pense bien qu'avec ces dons précieux de la nature, que rehaussaient encore une savante méthode et des études sérieuses de l'art, la prima donna était en possession des faveurs du public. Chaque fois que son nom paraissait sur l'affiche, l'impré- sario était assuré de ne pas faire four comme on dit en langage de coulisses. Tous les mélomanes, tous les dilettanti, toute l'élite de la société se donnaient ce soir-là rendez-vous au théâtre, les hommes et les femmes approvisionnés à l'avance de bouquets et de couronnes pour en couvrir l'artiste aimée. Engagé dans la même troupe lyrique comme basse, le mari de la jeune artiste, qui avait rempli plusieurs fois dans YOtello le rôle du Maure de Venise et qui en avait un peu la couleur avec la jalousie, se montrait glorieux et fier des succès de sa femme ; mais il en éprouvait en même temps et malgré lui d'indicibles soucis. Alors c'était souvent dans la maison, pour la pauvre