page suivante »
A VOL D'OISEAU. 203
croire tout à fait revenu aux mœurs, et aux réalités d'un autre
âge, tant les costumes et le cérémonial traditionnels de cette
institution grotesque ont été scrupuleusement conservés. Il y
verra, quelque inouiè que puisse sembler la chose, qu'en l'an 1857
un propriétaire, à Chanteuges, demeure paisiblement grevé sur
son immeuble de servitudes absurdes et de redevances pécu-
niaires, de par les us et coutumes des bons vieux temps féodaux.
Remontons doucement le cours ombreux de la Dège ; suivons
ses bords, délicieux abri pour le poète et le penseur amoureux
des sentiers perdus, des promenades riantes et solitaires. Il n'est
pas de plus frais vallons, l'Anio tant célébré n'a pas des eaux
plus limpides. Ici elles s'échappent en fils d'argent sur le tapis des
prés, là elles écument et bouillonnent sous la roue verdatre et
moussue d'un rustique moulin. L'étroite vallée se prolonge, tou-
jours encaissée de hauts escarpements granitiques. Disciples
d'Epicure et de Brillât-Savarin, pour vous aussi elle a des séduc-
tions appétissantes. On y pêche en abondance la truite noire
des eaux vives, qu'il faut avoir dégustée à peine sortie de son élé-
ment de cristal, pour en connaître toute la friande saveur ; et,
dans les anfractuosités presque inaccessibles, s'ébattent aux plus
ardents rayons de midi la perdrix rouge, etla bartavelle au fumet
exquis si connu des gourmets. C'est là que viennent les pour-
suivre de hardis braconniers, qui bravent les précipices, les fores-
tiers et les gendarmes, pour en approvisionner vos tables.
À gauche, au-dessus de nos tètes, pendent quelques restes
croulants du vieux manoir de Digons. Jadis les seigneurs du fief
ont régné par la terreur sur cette partie du val, et maintenant ces
noirs vestiges sont l'épouvante du villageois superstitieux. La
nuit venue, bien peu se risqueraient parmi ces ruines que hantent
la trêve et les blancs fantômes, histoire aux épisodes sinistres,
qui défraye les longues veillées d'hiver.
Quelques centaines de pas plus loin, on trouve à mi-côte le
hameau de Pebrac, en un site moins étranglé. C'est là qu'en
1062 le bienheureux Pierre de Chavanon, de la maison de Langeac,
fondait un simple oratoire, devenu bientôt la riche et puissante
abbaye qui florissait encore en 1790. Ce fut un abbé de Pebrac,