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LETTRES SUR LA SAKDAIGNË. 361 héréditaire de ses édiles occupés à déshonorer la position la plus magnifique qu'ait jamais dessinée la nature pour l'em- placement d'une grande cité. La factorerie des suorioruni romains» établie dans les environs de Tempio, était célèbre même à Rome. Aujourd'hui c'est une ville de pauvre et chélivc apparence, où tout respire un ennui superlatif et commercial. Les rues étroites et embrouillées, sont garnies de sombres boutiques, où les femmes filent et tissent les laines des brebis, et accourent au seuil de leur porte pour voir passer quelque chose de si rare qu'un étranger, tandis que des cochons effarés, les seuls propriétaires de la rue, se préci- pitent devant ses pas, en poussant des grognements éplorés. Mais, cher ami, que n'avez-vous le courage de m'accom- pagner à Algher ou Algieri, le paradis terrestre de la Sardaigne, et où, pour des temps d'orages politiques, il se- rait bien doux d'aller s'ensevelir à jamais. Algher, la ville espagnole, où se parle le pur catalan de Barcelonne, où les hommes cachent leurs crinières ondoyantes et leurs regards de feu sous les bords du sombreros, où les femmes encadrent leurs épaules blanches dans des corsages de velours, et font ruisseler les dentelles sur des jupes de satin. Noyées dans une vapeur transparente, que le soleil cou- chant colore des teintes de l'iris et de la rose, de petites maisons à toits plats, séparées par d'étroits jardins, gra- vissent et couvrent la montagne ; au-dessous s'étend une mer bleue et profonde. Quelques rues se croisent et montent en spirale jusqu'aux dernières murailles, dont les angles blanchis se découpent crûment entre deux haies de lauriers roses, aux feuilles métalliques. Dans ces rues, courent et babillent sous les yeux de leurs mères, de joyeuses bandes d'enfants bruns, blonds et roses comme partout, mais d'une beauté rare, et qui portent, pour tout vêtement, un carré d'étoffe de laine noire autour du cou. De belles jeunes