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260 LETTRES SUR LA SARDAIGNE. la justesse. Sans avoir eu l'occasion d'en constater la vérité dans toute sa rigueur, j'ai toujours vu les mauvais sujets être auprès des femmes l'objet d'une préférence scandaleuse, et leurs faveurs d'autant plus assurées que la réputation de scélératesse était plus incontestable. Mais c'est un peu, je crois, affaire de vanilé ; c'est un spectacle si touchant que celui du vice vaincu par la beauté, et puis il est si flatteur d'enchaîner à sa suite un cœur ardemment disputé. « La nuit venue, les soldats à moitié ivres s'éparpillèrent ça et là autour de la chapelle, et les deux sentinelles couchées en travers de la porte s'endormirent d'un profond sommeil. Le matin, quand l'officier pénétra dans le refuge, pour re- connaître son prisonnier, il ne le trouva plus ; Juancho s'était sauvé dans la montagne. < Un mois s'était écoulé depuis cet événement, et per- < sonne n'avait plus entendu parler de Juancho. Réfugié sur les sommets les plus écartés, caché sous les forêts immenses et dans les grottes inaccessibles, il vivait sans doute du fruit de sa chasse et du lait des brebis des pasteurs. Pour Anita, elle habitait à San-îuri une petite maison, que lui avaient donnée les Barracelli, pour l'indemniser de la perte de sa chaumière incendiée. Les Barracelli sont un corps de compagnie d'assu- rances armée. Moyennant une rétribution annuelle et propor- lionnée a la valeur des biens déclarés, les Barracelli s'engagent à réparer immédiatement les vols et les dégâts de toute espèce, quand ils n'ont su les prévenir. Ânila menait une vie labo- rieuse et retirée, ne quittant sa maison que pour aller à l'é- glise, et, chaque jour, elle offrait à l'autel de saint Lucifer un cierge béni el les fleurs de son jardin. C'était un vœu qu'elle avait fait pour obtenir la vie et le bonheur de Juancho. — Et le grand saint Lucifer, demandai-je, lui accorda-l-il la vie de son amant, bandit et assassin? — Eh mon Dieu ! pouvait-il résister aux prières d'unefilleaussi jolie ! » Heu-