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350 LETTRES SUR LA SARDAIGNE. une seconde galerie, semblable à la première , mais dans des proportions amoindries. Un fronton cintré , percé d'une niche, asile du saint patron, et autour de laquelle s'allongent, dans la pierre , deux anges taillés en relief, couronne la fa- çade. L'intérieur se compose d'une seule nef en croix, grande et assez belle dans ses proportions , et dont les murs , dénués d'ornement, sont soigneusement revêtus de cette infâme cou- leur potiron, aimée des sacristains. Dans une des chapelles qui forment la croix , au-dessus de l'autel, est appendu un tableau d'une merveilleuse beauté. Assise sur un trône élevé, sainte Anne soutient, debout devant elle, la Vierge-enfant ; à sa gauche, PHILIPPE CINQ, prosterné, caché sous les plis de son manteau royal, offre sa couronne à la sainte bambine ; à sa droite, est placée une figure allégo- rique , un guerrier, couvert d'une armure splendide ; des saints et des anges , noyés dans la demi-teinte , occupent le fond de la scène, au-dessus de laquelle plane la figure pater- nelle du vieux Jéhova. La beauté chevaleresque de ces têtes, ces étoffes souples et chatoyantes, ce grand lévrier au profil busqué comme un genêt d'Espagne , cette armure d'acier sur laquelle la lumière glisse en lames blanches, et puis ce parfum d'aristocratie féodale répandue sur la toile , et surtout cette couleur blonde et ambrée, font reconnaître l'œuvre du Titien espagnol, du chevalier Velasquez, l'ami de Philippe IV, le peintre ordinaire des rois, des enfants et des reines. C'est une chose naïve et grave à la fois, qui pourrait se soutenir à côté des œuvres les plus célèbres des maîtres Vénitiens. Pour- tant , mon guide connaisseur ne me la faisait même pas re- marquer , pas plus qu'une jolie petite Sainte famille , rose blanche et pouponnée, que l'on croirait sortie des ateliers de Boucher , école séduisante, qui avait voué l'art au culte charmant des faux Dieux. Il avait hâte, le bon docteur, de me faire admirer les chefs-d'oeuvres indigènes. Le tableau du