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LETTRES SCa LA SARDAIGNE. 367 Les crocs, les piques, les harpons, plongeaient dans l'eau, et remontaient sanglants pour retomber encore ; les haches frappaient des coups redoublés, les thons blessés et furieux faisaient bouillonner les flots dans les convulsions suprêmes de leur agonie;la mer, violemment agitée, roulait çà et là les cadavres sanglants et les entrailles palpitantes de ces pauvres monstres, et se couvrait d'une écume rouge desang.L'haleine bruyante des victimes, le mugissement des flots, le grince- ment du fer, se mêlaient aux cris féroces des pêcheurs intré- pides qui, suspendus dans leurs frêles nacelles sur une mort horrible, s'excitaient au carnage. Spectacle triste et terrible, et qui m'avait rempli le cœur d'une horreur et d'une pitié si grande, que j'aurais voulu voir un de ces hommes tomber à la mer, et les scombres venger sur lui la mort affreuse à laquelle ils étaient condamnés. Mais je peux me consoler, la chose est arrivée déjà plusieurs fois. Pourtant celte féroce et dégoûtante boucherie élait, pour tous les spectateurs, une fêle charmante; le ciel avait, ce jour-là , une purelé délicieuse ; les femmes, qui remplissaient les barques, étaient parées de leurs costumes les plus coquets, et contemplaient, avec de bruyants éclats de rire, les contorsions suprêmes des victi- mes ; des chœurs entonnaient de joyeux refrains, avec ac- compagnement de tambourin, de fifre et de tymbale ; le soir, enfin, sur le rivage ensanglanté, on dansa le plus joyeuse- ment du monde. La pêche s'ouvrait sous d'heureux auspices. Eu cette seule journée , on avail tué environ quinze mille thons, dont quel- ques uns pesaient au moins vingt kilogrammes, et le mas- sacre avait été si horrible, que le sang avail rougi les eaux de la mer à deux lieues de dislance ! Le lendemain je rentrais à Porto-Torres. Vlchnusa, bâ- timent à vapeur qui fait le service de Gênes, était dans le port et parlait le jour suivant ; je retins mon passage, et fis