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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 363 ma barque, balancée sur ces flots silencieux , s'enfonçait sous les cavernes plus sombres que les feux de nos torches illuminaient de fantastiques clartés, j'évoquais le fantôme clas- sique des chastes Néréides, et des Tritons à barbe limoneuse, qui venaient joyeusement autrefois s'ébattre dans ce palais d'émeraude, de nacre et d'albâtre. Mais hélas ! la verte Naïade est morte dans sa grotte, et les divinités marines ont abandonné leur empire; elles sont mortes, et leur mort, vous la bénissez peut-être ? car elle vous évite la description my- thologique d'une danse nautique, à laquelle, en des temps plus heureux, j'aurais assisté infailliblement. Et maintenant, pour abréger encore mon récit, laissant de côté les détails poétiques et géologiques, je me contente de vous dire : que la grotte d'Algher ressemble à la grotte d'azur de l'île de Tibère, l'une de ces merveilles dont la nature a paré le golfe de Naples. La mer était si limpide, la matinée si belle, la brise qui venait de la terre, toute chargée des senteurs vé- gétales, gonflait si bien nos voiles, et faisait balancer si mol- lement notre barque, que je ne pus me résigner à rentrer à Algher. Je cédai aux sollicitations intéressées du patron, et je passai la journée sur le golfe, courant du promontoire de Bosa jusqu'au cap du Cacciatore, pénétrant dans les petites baies solitaires, encadrées dans une ceinture de collines et de bosquets de lauriers et de lentisques, dont le soleil allumait de refiels d'or les feuilles vernissées. Promenade ravissante dont je garderai le souvenir ! Mais votre présence dans ma barque, cher ami, en doublant le charme enivrant de celte journée, eût rendu ce souvenir plus délicieux encore. Quand je rentrai dans le port, la lune, déjà au milieu de sa course, jettail sur les collines une clarté mystérieuse, et faisait bra- silier la mer. Deux heures suffisent pour aller de Sassari à Porto-Torres. Une rangée de maisons chancelantes, qui regardent d'un air