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270 LETTRES SUIS LA SARDAIGNE. plans de montagnes s'effaçaient au loin dans de poétiques et mystérieuses profondeurs. Arrivés au fond de la vallée, nous nous dirigeâmes vers la cantonnière du petit hameau de Bonorve, dont le toit en coupole laissait échapper une colonne de fumée blanche, qui se perdait à travers les branches d'un bouquet d'accacias. La maîtresse du logis était devant sa porte, et, venant à notre rencontre, elle m'accueillit par ces gracieuses paroles : se la casa e piccola, il cuore è grande. La casa était en effet bien petite, et encombrée déjà de voyageurs, dont les chevaux enchaînés aux boucles de la muraille, hennissaient à l'entour. Isolée dans cette solitude, qui s'étend de Macomer à Sassari, et d'Algher à ïempio, la cantonnière de Bonorve est le rendez-vous des voyageurs qui traversent le pays. Mais si la casa était petite, la bonté complaisante de notre hôtesse était charmante. Sa beauté, quoique altérée par les années et les chagrins, et ses manières pleines d'une distinction na- tive, faisaient naître pour elle une sympathie respectueuse et irrésistible. La signora Antonia était née à Sassari ; elle avait passé son enfance dans une de ces jolies maisons ita- liennes, qui cachent derrière leurs murailles enluminées, de petits bosquets d'orangers, animés par le murmure d'une fontaine, dont les eaux entretiennent le velours épais du gazon. Paresseuse à ravir, la belle Antonia passait sa vie à dormir, à rêver et à chanter, à chanter surtout : car elle avait une voix magnifique , et dont la beaulé causa le mal- heur de sa vie. Un jeune officier piémontais, assistant un jour par hazard aux offices de l'église, fut tellement séduit de la splendeur sympathique de celte voie, qu'il voulut voir Antonia. Il la vit, et la beauté de la jeune fille compléta les séductions de son chant. L'officier devint passionnément amoureux, et par un beau jour il enleva Antonia, et les deux amants se sauvèrent à Gênes. Après quelques années de bon-