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1ETTBES SUR LA SARDAIGNE. 265 joues amaigries, et des rides soudaines sillonnaient son front; la jalousie et le désespoir d'un instant, l'agonie de son cœur, l'avaient vieilli de dix ans. Alors, se tournant vers la foule tremblante qui l'entourait : -—Je suis Juancho, dit-il, dont la vie est mise à prix ; conduisez-moi aux commandants de la ville, et que les plus pauvres se partagent le prix de mon sang. « Pauvre Anita ! s'écria d'un ton attendri mon gros fran- ciscain, la curiosité l'a rendue sacrilège, el l'a perdue comme Eve sa mère, comme elle perd tous les hommes. La curio- sité, ce besoin de tout savoir, qui s'est emparé de l'humanité, est la cause des vices qui l'inondent, et la conduiront à sa perle. Dieu nous a mis dans ce monde pour faire notre salut ; il veut que nous jouissions des biens qu'il nous donne , et nous défend de rechercher la cause des phénomènes qui nous entourent. Le démon est le père de la science , c'est lui qui pousse les hommes à ces inventions monstrueuses et diabo- liques dont la terre est déjà couverte, et qui finiront par la rendre inhabitable. Aussi, de tous les hommes, les plus par- faits, ce sont les moines mendiants. Heureux et tranquilles, ils n'ont d'autres soucis que celui de manger et de boire le mieux possible, de chanter les louanges du Seigneur, et le prier de les recevoir à leur mort dans son divin paradis : c'est la grâce que je vous souhaite, ainsi-soit-il ! » Le digne homme pourrait bien avoir raison. Ces bons moines, qui vivent sans savoir ce qu'ils font, saintement oc- cupés à manger, à boire et à louer le Seigneur, et meurent, sans avoir rempli en ce monde de mission plus importante que celle d'une bote ou d'une plante, sont peut-être beau- coup plus sages que nous. A coup sûr, ils sont plus heu- reux, et, pour moi, je me sens capable de suivre un jour les conseils de mon franciscain et de me réfugier dans un cou- vent si, dans quelques années, il en existe encore sur la terre.