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278                           TACITE
tardive, il est vrai, mais impitoyable, parce qu'elle est
immortelle. Tacite est le grand justicier de son siècle.
   Il y a un autre écrivain qui semble partager avec notre
historien cette mission vengeresse. Celui-ci est un poète,
un satirique qui, doué d'une âme honnête, a éprouvé le
besoin de marquer de son vers brûlant les hontes de son
époque. La vue de ces hontes, dit-il, inspira son génie, et
l'indignation le rit poète :

      Si natura negat, facit indignatio versum (1).

   Ici, Juvénal ne se rend pas justice. Poète, il l'est par la
nature, non sans doute à la façon d'Horace, dont il n'a ni
a grâce ni l'élégance, car il se montre parfois trivial,
cynique même.fmais il l'est. Puis, l'indignation lui a donné
une verve sarcastique qui vaut bien la finesse du favori
de Mécène. Ajoutons que cette indignation ne connaît
aucune faiblesse et poursuit sans merci, de sa pointe
sanglante, toutes les turpitudes.
  Si acéré pourtant que soit le trait de Juvénal, il est moins
pénétrant que le trait de Tacite. En général, on est peu
disposé à prendre au pied de la lettre les leçons d'un
poète, surtout s'il censure. Alors, il y a dans l'énergie des
expressions, dans le ton des figures, je ne sais quel excès
qu'on pardonne volontiers à l'inspiration, mais qui tient
en garde contre la vérité de la critique. Cette prévention,
qui regarde Juvénal, ne saurait s'appliquer à Tacite. Celui-
ci ne brode point, comme le poète, sur le fonds des
moeurs publiques, une suite de tableaux fictifs plus ou
moins nuancés. Il ne raconte que des faits, mais il les
raconte d'une manière si saisissante, avec un tel choix de
détails; sa parole est si élevée, son honnêteté si franche,



  (1) Satire, 1.