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150                   FRANÇOIS LEPAGE.

les seules distractions que sa rigide sévérité se permettait
étaient quelques études spéciales d'optique, d'anatomie et
d'autres sciences exactes, pour lesquelles il avait un goût
prononcé.
     Il faudrait avoir peu connu les artistes en général, et
Lepage en particulier, pour penser que cette vie s'écou-
lait sans tourments et sans regrets. Malgré la satisfac-
tion du sacrifice accompli, malgré les résultats obtenus,
l'aisance dans le ménage, les enfants élevés, l'estime gé-
 nérale acquise, l'artiste illustre rêvait souvent toile et
 pinceaux. Les succès de ses élèves, de Saint-Jean surtout,
 ceux des écoles rivales, de Remillieux, de Eeignier, le ré-
 jouissaient sans jalousie , mais ravivaient son désir de
 produire aussi lui-même, désir inassouvi, aussi cruel que
 celui de Tantale et auquel il résistait courageusement. Ce
 n'était pas pour lui un médiocre sacrifice que d'user sa vie
 aux modestes labeurs de l'enseignement, quand il sentait
 ce qu'il aurait pu faire avec plus de liberté. Ceux-là seuls
 peuvent comprendre cet intime et délicat tourment qui ont
 fréquenté Lepage et ont recueilli de sa bouche ces tristes
 aveux qu'il ne faisait que dans le sein de l'amitié.
      Durant vingt ou trente ans, au lieu de s'élancer dans
  l'espace, il traça son rude et laborieux sillon ; puis enfin
  arriva pour lui l'indépendance avec la vieillesse. Il reprit
  alors ses pinceaux, et avec toute l'ardeur d'une passion
  longtemps contenue, il se remit, comme un jeune homme,
  à l'étude de la peinture. Bon nombre de petites toiles, mar-
 quées au cachet de la conscience et de la vérité, et révé-
 lant son culte respectueux pour la nature, datent de ces
  dernières années. Il y a tel groupe de fruits, telle composi-
  tion de fleurs qui sont dignes de ses meilleurs moments.
  Deux tableaux entre autres, quoique de dimension res-
  treinte, méritent de fixer l'attention. Dans l'un, on admire