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68               APPROCHE, Sî TU ES HARDI !



                             IV

                 COMMENT ON DEVIENT SORCIER.



  Ce n'était point de Renaison, de Saint-Haon, ou des
communes de la côte qu'on venait consulter la mère Ser-
vajan, dans sa petite maison de la vallée d'Oudan ; non,
quoiqu'elle vendît l'avenir, elle était peu achalandée ; on
avait vu ses commencements dans le pays, et toute mer-
veille qui se laisse aviser en robe de chambre n'est plus
une merveille. Mais on venait trouver la sorcière des villa-
ges éloignés, d'Àrfeuilles et surtout de Saint-Bonnet, où
la croyance au sort est fortement enracinée; on payait
en argent et en denrées ; car si le diable ne craint point la
monnaie, il faut bien qu'il vive de l'autel, le diable est
gourmand.
   Voici comment la vieille et Satanas firent connaissance.
11 y a entre Saint-Haon et Renaison un hameau dans
lequel habitait une dame veuve, avec sa servante. La
 bourgeoise passait son temps à manier les cartes, à faire
des réussites, ni plus ni moins que les oisifs des cercles de
la ville, qui n'ont pas assez de leur cent de piquet, et toute
la journée pique, cœur, trèfle et carreau, et toutes les com-
binaisons ; la gentille dame de cœur, le valet facteur avec
sa lettre ; on écrivait au dos des cartons les rencontres
fortunées, les résultats inouis, et la servante, attentive
derrière l'épaule de sa maîtresse, se pâmait d'aise. Sans
savoir lire, elle apprit Je jeu, mêmement les beaux coups
marqués. Mais sa dame mourut malgré qu'elle eût deux
cents fois conjuré la fin de la partie.
   Vite la fille de se saisir des cartes savantes. C'était un
héritage, une fortune ! Mais comment donner crédit, con-
fiance à ce jeu passé à des mains étrangères ? Le pouvoir
magique est-il légué par testament ?