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544                      DIVAGATIONS,

le sang que la guerre y a fait répandre ? Là, les campagnes
rougies par d'épouvantables massacres avaient besoin des
cataractes célestes, pour y effacer les (races de ces luttes
homicides dont le résultat est si peu en harmonie avec les
pertes énormes qui y furent consommées. Les fleuves, en dé-
bordant, auront balayé à la mer les guerriers à peine ense-
velis sur leurs rives ; l'eau aura lavé les murs noircis par
les flammes de l'incendie; l'herbe, en repoussant drue et
touffue sur les champs de carnage, aura voilé les tertres fu-
néraires où dort la vaillance, sacrifiée au triomphe d'unecause
mal connue et mal définie.
    Depuis le déluge, on le voit, l'eau du ciel a conservé le
 privilège de punir les mortels coupables: il est fâcheux qu'elle
y joigne celui de déconcerter d'innocents promeneurs, de tra-
 verser leurs projets d'excursions, de les retenir à domicile et
 de les faire pester intra muros. On dit pour consoler leur
 ennui, que la pluie alimente les sources ; j'en excepterai
 toutefois celles de nos jouissances les plus vraies : on leur dit
 encore qu'elle fait sortir les plantes de terre ; je répondrai
 qu'elle nous empêche de sortir nous-mêmes de nos maisons,
 nous qui valons bien, après tout, des laitues et des choux.
 Dans son langage ultra-figuré, l'horticulteur soutient qu'il
 tombe des louis d'or quand il pleut ; pour moi, je ne vois en-
 core que des gouttes d'eau, qui m'inondent sans m'enrichir
 d'autre choseque de mauvaise humeur et de désappointement.
    Quel général si brave qu'il fût, peut se vanter d'avoir eu
 autant de chevaux tués sous lui que nous avons eu de para-
 pluies crevés sur nous, durant le mois de Mai 1856?
    Chacun en rentrant chez soi pouvait personnifier ces fleuves
 mythologiques, ayant une barbe limoneuse, la têle couverte
 de roseaux inclinés sur leur front comme des branches de
 saules pleureurs, et portant sous le bras l'urne d'où s'épan-
 chaient leurs eaux.