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LETTRES SUR LA SABDAIGNE. 353 monde babillard de mésanges, de merles et de corneilles ; à leurs pieds, s'étend une herbe lustrée, haute et drue, où mur- murent de petits ruisseaux invisibles. Du côté occidental de la ville, sous une de ces allées touffues qui l'environnent, s'élève une petite église, antique débris de la domination espagnole. A l'extérieur, sa façade sombre et nue, ses murs crevassés couronnés par une corniche creusée en cintres successifs, qu'écrasent un toit massif et plal, lui donnent l'aspect d'une prison ou d'une salle, où les inquisiteurs faisaient leur sainte cuisine. A l'intérieur , des taches moussues tigrent les murs comme une vaste lèpre. Le plafond laisse entrevoir le ciel au fond de ses caissons ruinés, un autel délabré , dernier vestige d'une antique splendeur, conservé encore sous une couche de poussière, des incrustations de nacre, de cuivre et d'ivoire, enrichies de gros cataplasmes d'or. Çà et là , sont accrochées, dans des cadres disloqués, des toiles enfumées, mais sur lesquelles le pinceau des disciples féroces de Zurbaran et de Ribera fait palpiter à plaisir les entrailles entr'ouverles, et ruisseler le sang des martyrs. Mon docteur qui m'avait vu indifférent devant les magni- ficences de la cathédrale, et ses œuvres d'art, l'admiration des habitants de Sassari, et qui me voyait contempler avec bonheur les murs d'une chapelle dévastée, et de sombres et épouvantables peintures , resta confondu. Cette rébellion contre toutes ses idées, contre toutes ses notions artistiques, lui donna, peut-être, une haute idée de mes lumières: l'opposition à toutes les règles reçues n'est—elle pas une preuve de supériorité d'esprit? Je ne sais, mais dès-lors il ne prévint plus mes impressions et attendit toujours que je me fusse prononcé pour conformer ses jugements aux miens. En sortant de la ville par le côté oriental, à l'extrémité d'une allée de sycomores, on aperçoit un amas de maisons 23