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272 LETTRES SUR LA SARDAIGNE. lait me faire accepter sa chambre, je préférai rester dehors. Le ciel constellé valait bien le plafond fumeux de la locande, et la terre un parquet équivoque. Au reste, cette campagne, qui s'épanouissait, heureuse et fertile, aux rayons ardents du soleil, était bien plus attrayante encore pendant les ombres de la nuit. Un vent tiède traversait l'espace, tout chargé des senteurs des orangers et des tubéreuses ; des gerbes de lumière pou- vaient des étoiles, illuminaient la cîme des arbres, et fai- saient luire devant moi les mufles lustrés des bœufs, qui, plongés dans leur somnolence rêveuse, ruminaient, age- nouillés dans les herbes humides. Les iuccioles embrasées voltigeaient en tous sens ; les tourterelles, cachées sous les rameaux , roucoulaient un hymne aux amours nocturnes ; les insectes bourdonnaient sur tous les tons, et une cascade lointaine mêlait ses accords monotones aux raille bruits de la nature. La sérénité profonde, la tristesse majestueuse de cette nuit splendide, me plongèrent dans un doux recueillement. Toutes fibres religieuses de mon cœur furent puissamment excitées, et mon âme, trop pleine, s'éleva instinctivement vers l'auteur de ces merveilles. La foi est fille de la nuit. Pour moi, le soleil couché, un saint recueillement s'empare de mes esprits, et mes instincts religieux s'éveillent d'autant plus puissants que la nuit est plus noire. Mais les premiers rayons du jour dissipent le charme pieux et réveillent ma raison. Le doute est fils du jour. J'admire la créature, sans plus guère songer au créa- teur.J'ai peine à comprendre alors, l'attrait que certains esprits malades trouvent dans le mysticisme, et je ne m'occupe que du monde visible qui seul peut-être a mes affections. Aussi parfois, contemplant les chefs-d'œuvres mutilés de l'art païen, il me vient la tentation de me révolter contre cet ascé- tisme absurde, qui s'est déclaré l'ennemi de la beauté phy-