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                 LETTRES SUR LA SARDA1GNE.                   269

chain, pour franchir les mers et enrichir les chantiers de la
Méditerranée.
    Mon moine m'avait quitté, et j'avais, pour le remplacer et
me guider dans ma route, un marchand deMacomer, qui allait
à Tempio. Suivant l'usage du pays, il avait chargé sa marchan-
dise sur le dos d'un bœuf, bâté comme le sont chez nous les
mulets et les énes, et qui trottait à nos côtés. Tout marchand
de fromage et d'huile qu'il était, cet homme n'était ni plus
ni moins que le poète de Macomer. Chaque village, en Sar-
daigne, a le sien, qu'il honore et dont il est fier. J'ignore si
le snjet l'avait inspiré, ou s'il cédait à l'influence d'un ma-
gnifique foulard orange que j'avais passé à son cou, mais il
improvisa en mon honneur une complainte en soixante cou-
plets. C'était une poésie orientale et soporifique, et la modestie
ne me permet pas de vous en donner la traduction.
    Au sortir de la forêt, dont l'improvisation de mon poète
avait fait retentir les échos, la route tout-à-coup se dérobe
aux yeux du voyageur, la plaine s'abîme sous ses pas, et se
creuse en une vallée immense, dont les magnificences in-
connues me tinrent longtemps plongé dans un profond en-
chantement. Je restai muet d'admiration : c'est la manière
classique et suprême de témoigner son enthousiasme admi-
 ratif ; et c'est aussi la plus commode. Le soleil commençait
 à disparaître derrière les tôles verdoyantes des grands arbres,
 qui laissaient filtrer encore çà et là sur le gazon quelques
 rayons oubliés : la lumière adoucie permettait de distinguer
 les détails ravissants et coquets de ce panorama splendide.
 L'immense vallée, encadrée dans un horizon de montagnes,
 étalait ses campagnes diaprées comme une robe de soie
 changeante, semées de bosquets d'oliviers, du milieu des quels
 les sveltes peupliers élançaient leur palme toujours agitée.
  Les sommets, éclairés par les rayons du soleil couchant,
  rayonnaient au-dessus des vallées sombres, tandis que d'autres