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VOYAGE EN 1CAHIE. 73 riens, je vous déclare que j'ai changé tout cela ; que tout ce que vous vous vantez d'avoir accompli de grand n'existe point, ou du moins, dans tous les cas, cela se serait fait par de si détestables méthodes que c'est à mettre à néant. Oubliez donc vos anciennes tendances, quittez l'antique voie nationale; ralliez-vous tous à moi, car je suis la lumière et, seul au monde, je connais une terre promise que je réserve pour vous, les prédestinés ! Monsieur, reprend l'ancienne société française, si je ne tenais pas à mes vieilles traditions de politesse, je pourrais bien vous dire que vous êtes un fat et un sycophanle de me parler ainsi. Permettez donc que je suive encore un peu mon vieux train de vie et mes chères routines. A mon dge, on se plie malaisément aux disciplines nouvelles. Je ne suis point d'ailleurs aussi décrépite que vous paraissez le croire, et vous ne me trouverez point disposée h faire bon marché de mon passé et à vous livrer mon avenir. Je per- siste dans mes errements que vous appelez mes erreurs. Je veux résolument garder intacte ma civilisation qui m'a fait marcher à la tôle des peuples. La source n'était pas si trou- blée puisque l'Europe y venait boire! Avec vous, je serais l'Icarie, ce qui peut être flatteur; mais, à moi seule, je suis la France, et c'est assez ! Cessez de me tenter, et ne croyez point me séduire, ô vous que le vulgaire appelle Gabel, cl que les voyants nomment Icar ! Je prendrai môme la liberté de vous dire en passant que ce nom de mauvais au- gure (Icarus) me rappelle un projet et un homme qui sont tombés dans l'eau, il y a bien longtemps, ce qui a fait que la mer Egée a pris le nom de mer Icarienne. Ce qui frappe surtout dans les réformateurs et met en défiance contre leurs systèmes, c'est leur outrecuidance et leur dédain de toute tradition. Ils se posent tout d'abord en hiérophantes insolents et s'écrient : le monde a fait fausse