Revue lyonnaise » n°6 ( 1883 ) » pp.540

540                   LA RKVUE LYONNAISE

sur ses joues brillent les lis et les roses ; ses lèvres effacent l'éclat
du corail; sa salive est plus douce que le sucre, plus savoureuse
que le miel. Que Dieu perde les traîtres comme l'amour m'a
perdu! »



                                    IX

            COSAS DE ARGEL — TABLEAU DE G E N R E
      LA D E R N I E R E AUDIENCE        DANS LE GRAND MONDE
                         LA P A T T E A COCO


    On dit : « Gosas de Espafla » (choses d'Espagne), pourquoi ne
dirais-je pas : « Gosas de Argel » (choses d'Alger), il n'y a pas
moins d'originalité, de couleur locale, ici que là-bas.
   Dans un coin de la place du gouvernement que j'ai déjà décrit, à
l'ombre rigide d'une douzaine de palmiers mourant de la nostalgie
 du désert, un industriel a mis des chaises, et, le soir, vers cinq
 heures, quand le feu commence à s'éteindre sous la rôtissoire so-
laire, et que l'arrosage municipal transforme la poussière en boue,
une clientèle spéciale les occupe. Le rhumatisme articulaire y vient
cancaner avec l'ataxie locomotrice,, le rachitisme y fait des avances
à la phthisie. Toutes les fois qu'il m'avait plu de frotter mon indis-
position à ces maladies, mon impatience à ces souffrances, j'avais
rencontré un grand jeune homme d'une trentaine d'années, invrai-
semblablement maigre, le front très haut, les yeux très profonds
et très brillants, les pommettes tachées d'un rouge funeste; une
distinction de type à forcer l'attention, un air d'abattement à forcer
la pitié. Nous n'avions pas tardé à nous rapprocher et à nous mon-
trer patte blanche, c'est-à-dire à nous apprendre que nous tenions,
lui : un pinceau, moi . une plume, et que nous ne trempions par
aucun bout dans les immondes négoces d'où la pensée est absente.
Nous échangions nos impressions, nos journaux; un jour que le
siroco faisait haleter ses pauvres poumons, flageoler sesjambes de
squelette, et que je lui avais prêté mon bras jusqu'à l'omnibus, il
m'invita à visiter son atelier. On peint beaucoup à Alger, c'est une
manie, un prurit, une fièvre, effet de la grande lumière sans doute.