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268 LA REVUE LYONNAISE vient peu rechercher au théâtre la mise en scène des grandes passions du cœur humain, des caractères à faire aimer ou haïr, des mœurs, des vices, des travers à corriger, tels que nos grands écri- vains dramatiques en ont fait les sujets de leurs chefs-d'œuvre. On a changé tout cela. Les auteurs qui écrivent pour le théâtre visent moins à enrichir la littérature dramatique d'œuvres destinées à la gloire de notre langue qu'à se prêter au dévergondage de la fantaisie et de l'imagination. La pièce de théâtre qui affriande le plus les spectateurs représente des scènes assez risquées qui, par ja crudité ou la transparence des idées et des mots, s'adressent plus aux sens qu'à l'esprit et surtout qu'aux sentiments du cœur. L'auteur sera d'autant plus en faveur, lui qui contribue à former le publicà une sorte d'éducation théâtrale, s'il sait jouer avec dexté- rité de la langue française comme d'un instrument merveilleux, pour lancer l'équivoque scabreuse, à l'oreille et dans la pensée du spectateur, ou même, par l'élasticité de la phrase, pour faire à demi-mot comprendre quelquefois jusqu'à l'obscénité de la pensée, souvent aussi pour jeter à brûle-pourpoint le mot licencieusement piquant sous une forme, ou figurée ou brutalement réaliste. Eh bien ! tout cela ne s'arrêtera pas à l'oreille du spectateur. Ces scènes et ce jeu de la parole et du geste viennent, chez quelques-uns, réveiller les secrets de basse faiblesse que recèle l'âme humaine et satisfont ceux qui ont le goût prononcé des excentricités plus immorales que légères. Il n'est pas nécessaire de forcer l'imagination pour comprendre que des pièces de théâtre, au goût du jour, si elles offensent la pu- deur et même atteignent la moralité, ne fût-ce que de quelques spectateurs, auront pu faire des victimes plus sûrement par la mise en scène théâtrale que par la seule lecture de ces ouvrages. Or, qui sera responsable de ces résultats? Le spectateur comme le lec- teur auront-ils seuls imaginé les inventions dramatiques d'un auteur qui a la prétention de ne pas être un simple imitateur \ Je n'ai d'ailleurs pas besoin de m'étendre davantage sur un sujet connu de tous par les innombrables productions dramatiques et par le goût de spectacles qui, depuis bien des années, au détri- ment de la délicatesse intellectuelle, se sont emparé du goût et des préférences du public nombreux qui fréquente le théâtre.