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462 LA REVUE LYONNAISE indigène d'âge et d'aspect vénérables, le ruban de la Légion d'hori» neur au burnous, il regardait droit devant lui, fixement, caressait de temps à autre sa longue barbe argentée et paraissait plongé dans une méditation profonde. Tout à coup, relevant la tête, il tira d'une poche intérieure un petit miroir, un petit pot,un petit pinceau, se regarda attentivement, trempa le pinceau dans le pot, et, avec une lenteur d'artiste amou- reux de son Å“uvre, sans souci des passants, sans aucun amoin- drissement de son incontestable dignité, s'estompa les sourcils et le dessous des yeux. Cette besogne faite, il ôta, d'abord, une de ses galoches poudreuses, puis sa chaussette jadis blanche, recouverte d'une couche de crasse solide comme une teinture et s'en servit pour adoucir en les essuyant à droite et à gauche les touches de koheul que le miroir lui montrait trop dures. C'était un Arabe. Ils se livrent avec une égale facilité à la superstition, au men- songe, au vol, au viol, à la pédérastie, aux voies défait, à l'assas- sinat : ce que j'ai à dire là -dessus s'applique indistinctementaux uns et autres. Leur superstition passe toutes les bornes. Ils font peindre des mains sur leurs portes principales pour détourner le mauvais Å“il, accrochent des cornes de bÅ“uf et de bélier aux branches de leurs arbres et sur des perches au-dessus de leurs champs, pour assurer la récolte, envoient leurs femmes le mercredi au bord de la mer, sous la conduite de vieilles négresses, pour y brûler de l'en- cens, y plumer des poulets et lire l'avenir dans les dessins que font la fumée et les plumes livrées au vent. Ils croient aux prophètes, aux sorciers, aux guérisseurs. Un de ces derniers qui a plus d'aplomb que de diplômes, habite les environs immédiats d'Alger, reçoit ses clients à ciel découvert, sous un grand arbre, à la mode de saint Louis, récite ses ordonnances, sans jamais les écrire, et pour cause, et gagne à ce métier les appointements d'un receveur général. On l'a poursuivi pour exercice illégal de la médecine, mais il s'est présenté avec une telle escorte de malades guéris et reconnaissants que le tribunal intimidé l'a condamné seulement à un franc d'amende. Toujours la foi qui sauve! Les Marabouts, les curés du cru, se font un joli casuel en vendant aux imbéciles des papiers où sont transcrits des versets du Coran appropriés aux cir- constances. Les uns garantissent un bon voyage, les autres aident Ã