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FÉLIBRIGE 99
« Et c'est un accord doux et tendre
« Que la voix de ma sœur,
« Mais vous, le moindre mot, que vous disiez, Mireille,
« Plus que mille chansons enchante mon oreille
« Et va troubler mon cœur !
« Ma sœur en courant par la lande
« Sur son jeune visage avant qu'elle fût grande
Des brûlures du ciel avait reçu l'affront.
« Vous, j e vous crois faite, ma belle,
« Gomme les fleurs de l'asphodèle :
« Jamais l'été n'osa caresser votre front !
« C'est une libellule en sa grêle nature
« Que ma sœur ; elle a crû trop tôt pour croître bien,
« Mais de l'épaule à la ceinture,
« Vous, ô Mireille, il ne vous manque rien ! »
Laissant encor de sa main blanche
Glisser la branche
Et rougissant
Mireille dit : « Oh ! ce Vincen t ! »
Mistral! Mistral, merci! la vérité sublime
Venait de m'apparaître en sa simplicité.
Et, la reconnaissant, j'estimai comme un crime
De m'en être une heure écarté.
Il était encor là le livre ridicule,
Butor qui se croit fort à force d'être gras,
Et s'imagine en son fatras
Faire avancer le monde, alors qu'il le recule !
Il était là , tout plein de sa grossièreté,
Tout bouffi de cette imposture
Qu'il faut chercher la vérité
Dans les erreurs de la nature !
Il était l à ! . . . je n'osais l'approcher
Et ma main craignait d'y toucher
Qui venait d'effleurer Mireille!
Mireille, enfant d'un Gœthe, et qu'embrassaient Mignon
Et Gretchen ses deux s Å“ u r s ! . . . . Mireille dont le nom
Comme une cloche d'or sonnait à mon oreille !
Mon feu mourait, jo pris le livre, l'y jetai
Et relus cette scène exquise à sa clarté! -
Mistral ! Mistral ! merci ! Vingt vers de ton poème
M'avaient remis en liberté
M'enseignant par mon émoi même
Qu'il n'est rien ici-bas de vrai que la beauté !
Honneur à toi, Mistral! honneur à vous, Félibres;
Roumanille, Aubanel, poètes généreux
Qui toujours, l'œil au ciel, avez su rester libres
A récolter vos fleurs on vos sentiers pierreux !