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512                      LA R E V U E     LYONNAISE

affectionné ami. Signé : L. Phil. d'Orléans. » Les Parlements ne tardèrent pas
à remonter aussi sur leurs sièges.
   Quelque fautive qu'eût été leur conduite à l'égard de la monarchie, la Nation les
regretta et accueillit fort mal la magistrature que Maupeou lui avait substituée.
Pendant trois ans, l'opinion publique sillonna du fouet satirique de Beaumarchais
les honteux successeurs des Harlay, des de Thou, des Mole, des Séguier, des
Lamoigrion. A Lyon, un greffier de la Sénéchaussée ridiculisa, dans une pièce de
comédie très applaudie, les juges institués par Maupeou. L'ancien procureur
général Barou du Soleil devint l'homme le plus populaire de la province par son
ardente opposition ; mais quelques années après, en montant sur l'échafaud de la
Révolution, il put voir ce qu'a d'éphémère une popularité de mauvais aloi acquise
aux dépens du roi, et que la foule capricieuse et changeante renverse aussi vite
qu'elle les a élevées les idoles qu'elle a encensées. Louis X V I , cédant enfin au
vœu de la Nation, rappela les Parlements de leur exil. Ce roi si juste, si honnête,
et dont la droiture gênait et importunait la Révolution, dans ses coupables des-
seins, s'était souvenu que son prédécesseur en brisant l'inamovibilité d e l à Ma-
gistrature avait violé l'une des lois fondamentales de la monarchie. Il avait reconnu
que « cette inamovibilité était l'une des plus précieuses garanties d'une bonne et
indépendante magistrature. »
   Louis XVI s'était rappelé, aussi entre autres, qu'en 1467, Louis XI avait déclaré
« qu'à l'avenir, les juges ne pourroient estre privés de leurs charges que pour
forfaicture jugée selon les termes de justice par juges compétents. » En 1484,
les députés aux Etats de Tours avaient dit : « Un magistrat qui seroit       toujours
endangier     de se voir oster son office, ne seroit ni si vertueux, ni si hardi à
bien défendre les loix du royaulme. » Louis XI, en mourant, avait fait jurer
au Dauphin « de n'enfreindre jamais celte maxime », et Louis XIV avait reconnu
en 1648, « qu'elle était une maxime de notre droit public. » Cependant, il s'est
rencontré, de nos jours, un homme quia eu, comme Maupeou, le triste courage
de violer cette grande et sainte maxime, — de porter une main sacrilège sur
notre grands institution judiciaire et d'arracher de leurs sièges des centaines de
magistrats des plus dignes et des plus respectés, sans jugement préalable « selon
les ternies de justice par juge compétent », sur la simple dénonciation de préten-
dus représentants de l'opinion publique ou d'avides ambitieux d'une notoire in-
suffisance. Mais ce ministre, heureusement, n'appartient pas à la magistrature. An-
cien secrétaire de mairie, sous l'Empire, il n'abhorrait pas alors l'administration
qui le payait et quand, par hasard, il avait à plaider un maigre procès, il se
courbait profondément devant les juges dont il vient de briser plusieurs qui
étaient, bien entendu, les plus dignes... Mais une consolation et un espoir nous
restent. Rien n'est stable ici-bas, et surtout les mauvaises choses. Bientôt le pays
désillusionné et écœuré par l'insuffisance et la coupable docilité des nouveaux
juges, demandera, comme l'avaient fait nos pères à Louis XVI, le rétablissement
de la vraie inamovibilité, la seule et bonne garantie des justiciables, et le retour
de tous ces hommes d'élite odieusement sacrifiés. En lisant le livre de M. de
Saint-Victor, il apprendra aussi à juger avec sévéritéles magistrats assez oublieux
de leurs devoirs pour oser traiter de puissance à puissance avec le chef du
pouvoir et donner le triste spectacle d'une criminelle rébellion. Toutefois, l'his-
toire impartiale et miséricordieuse, sans absoudre ces grands coupables, a déjà
reconnu que leur siècle a été plus coupable qu'eux. Les prétendus philosophes