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             DE LA RESPONSABILITÉ L I T T É R A I R E               271

    Une première pensée domine la réponse.
    Un instituteur, dans son école, un professeur, dans sa chaire,
qui enseigneraient à leurs élèves des doctrines immorales, qui
s'appliqueraient à détruire les croyances reçues de leurs familles
seraient coupables et mériteraient une répression; ce serait de la
justice élémentaire. Or, l'auteur d'un livre qui écrit pour persua-
der, convaincre, amuser quelquefois, sans s'inquiéter des effets de
 son ouvrage, par sa parole imprimée laisse au lecteur le temps de
la réflexion; il pénètre l'intelligence, s'y fixe; les impressions
 saisissent l'imagina.tion, les doctrines s'emparent de l'esprit et aussi
 souvent de la conscience. Cet écrivain agit comme un instituteur ;
 logiquement la raison lui impose donc une responsabilité. S'il y a
 une littérature criminelle, si l'on admet que les lois sur la presse,
 sur la violation de certaines obligations positives prononcent
 des peines contre l'écrivain, ainsi qu'elles en prononcent contre
 tant de criminels, c'est que la répression par les tribunaux est la
 sanction d'un droit et d'un devoir de la société, d'une respon-
 sabilité qui émane d'une loi suprême à laquelle sont soumises
  toutes les actions des hommes. Elle doit atteindre les uns comme
 les autres.
   Les auteurs de livres, de journaux que la loi frappe ainsi ont
fait un mal extérieur. Mais si cette loi positive n'a pu atteindre
l'écrivain, parce qu'il n'a fait qu'un mal intérieur qui échappe à
une formule légale, une responsabilité n'en doit pas moins émaner
d'un autre principe. Lorsque nous disons d'une action, d'une
parole, abstraction faite de tous leurs résultats : c'est bien, ou
c'est mal, nous affirmons, par là, comme à notre insu, une com-
paraison entre ces actes et un type, un idéal d'après lequel le
fait est bon ou mauvais. Cette idée préconçue existe et nous fait
affirmer à priori, comme dans l'ordre positif, nous affirmons les
existences en vertu d'une idée nécessaire; cette idée est la loi
naturelle, le devoir, le sens moral, la conscience.
    L'âme reconnaît donc l'existence d'une loi qui a pour but de
 régler, d'ordonner la vie intérieure et ses manifestations ; mais
 aussi elle sent qu'elle est liée, enchaînée à cette loi, et qu'elle ne
 peut, sans crime, la méconnaître ni l'enfreindre. L'âme reconnaît
 que cette loi est pour elle, selon l'expression d'un philosophe