Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                                TACITE                               287

grands mots peint bien le solennel mensonge de cette tris-
tesse officielle !
   Il y a quelque chose de plus frappant encore dans ce
tableau de la stupeur de Rome sous la tyrannie soupçon-
neuse de Tibère : Non alias magis anxia et pavens civilas,
egens adversus proximum ; congressus, colloquia, notœ
ignoteeque aures vilari ; etiam muta atque inanima,
lectum et parietes circumspectabantur        (F). Ce dernier
mot fait frissonner.
   Je ne puis résister au désir de citer encore un échan-
tillon de cet art incomparable de décrire magnifiquement
les.grandes scènes, en quelques lignes, et je l'emprunte
an récit de la sédition qui emporta l'empereur Galba: Age-
batur hue et illuc Galba , vario lurbœ              fluctuantis
impulsa; completis basilicis et ternplis lugubri; prospectu;
neque populi neque plebis ulla vox ; sed attonili        vultus
et conversai ad omnia aures ; non tumultus, non quies,
quale magni metus et magnœ irœ silenliurn est [-2).
   Ainsi que le montrent ces exemples, Tacite a le plus
grand soin de combiner son style de manière à lui faire
produire, sur l'imagination et sur l'esprit, un effet simul-
tané. Est-ce à dire pour cela que tout ie mérite littéraire de
l'histoiren repose dans l'artifice de sa forme? Non : Car, si


   (1) Jamais Rome ne fut en proie à plus d'anxiété, à plus d'alarmes :
le pauvre était un ennemi pour ses proches ; on évitait de s'aborder,
de s'entretenir ; on ne s'ouvrait à aucune oreille connue ou inconnue ;
les objets muets et inanimés, les murs, les toits eux-mêmes, tout était
observé avec eiï oi.   (Lib. VI c. LXIX.)
   (2) Galba était entraîné, en sens opposés, par lei flots mouvants
de la foule qui l'entourait. On se pressait de toules parts dans les basi-
liques et dans les temples ; spectacle lugubre. Aucun cri ne s'élevait
du sein de cette multitude ; mais les visages étaient consternés, les
oreilles attentives à tous les bruits : Ce n'était ni le tumulte, ni le      v
calme, mais le silence des grandes terreurs ou des grandes colères.
Hist. lib. I. c. XL.)