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380 LES LISEUSES DE ROMANS. jeunes auteurs actuels. Le volume qui contient la peinture de ces attachements fiévreux, de ces passions convulsives, si recherchées maintenant, leur ébranle les nerfs à raison d'un sou par jour. On ne saurait s'attendrir à si bon compte, ni frémir à meilleur marché. Mais pourquoi donc ce genre de lecture est-il si plein de charme pour le sexe ? Ne serait-ce point quelque peu par la raison que la religion et la morale se réunissent pour le lui interdire? car, depuis la pomme d'Eden, le mot défendu fut pour la femme enduit de miel et rempli d'attraits. Ne lisez pas de romans, dit-on aux jeunes filles ; et voilà qu'à leurs yeux les romans s'enjolivent d'une défense d'y toucher, voilà qu'elles s'en emparent dès qu'ils leur tombent sous la main ; puis elles admirent la gravure du frontispice ; elles sont alléchées par la tournure élégante du héros qui y est représenté ; elles y trouvent un enlèvement, un combat, une déclaration faite à genoux : le moyen qu'elles ne brûlent pas de connaître à quoi se rattachent ces poses chevale- resques, ces épées tirées, ces coups de pistolet qui exhalent une si noire fumée, ces figures où se peignent tant d'a- mour, tant d'effroi ou tant de surprise. Comment ne cher- cheraient-elles pas à savoir si le beau jeune homme blessé dans la lithographie ne se rétablira pas du coup de poignard qu'il y reçoit, si la jolie dame évanouie ne reviendra pas à l'existence, si l'amant aux pieds de sa belle se relèvera dé- sespéré d'un refus ou enflammé d'espoir ? Tout cela pique furieusement la curiosité d'une demoiselle de quinze ans : il y a bien des embûches pour elle, bien des séductions per- fides dans les vignettes ; aussi je suis peu surpris qu'elle y succombe souvent. La voilà donc, tournant à l'entour des loueuses de livres, comme un chat autour d'une soupe trop chaude ; s'encourageant à franchir le seuil de leurs bouti- ques, reluquant les titres ou les gravures aplatis derrière les