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LES LISEUSES DE ROMANS. 381
vitres ; puis, tout a conp prenant un pas délibe'ré, je la vois
entrer et demander d'un ton radouci l'ouvrage convoité,
tantôt au nom de sa mère malade, tantôt de son aïeule in-
firme, jamais au sien, pour désarmer les scrupules de la
maîtresse du comptoir. Enfin elle s'empare du livre comme
Jason de la toison d'or, le serre pleine de joie contre son
sein palpitant, l'enveloppe de son schall, et l'emporte ainsi
que le larron qui se sauve avec un riche butin. Ah! c'est
pour le coup que moins de cierges seront brûlés en l'hon-
neur des saints que de chandelles pour lire, des romans ;
ils allongeront sa veille, reposeront sous son chevet, ali-
menteront ses songes, et recevront ses premiers regards Ã
l'aube du jour.
Pauvre jeune fille, comme la vie va t'apparaître sous un
faux jour ! comme tu vas la voir au travers d'un prisme trom-
peur; que de germes de passions folles tu jettes dans ton sein !
quelles armes terribles pour le séducteur qui te guette, et
qui s'embellira des charmes imaginaires dont ta tête exaltée
l'aura revêtu! Malheureuse! jette loin de toi ces volumes
empoisonnés ! chaque page attente à ton innocence ; chaque
livre ouvre ton cœur virginal à de dangereuses insinuations,
et te présente faible et sans défense en face des séductions
d'une société corrompue ; ou bien, si tu conserves ta raison,
si tes yeux voient encore les choses comme elles sont, tu
seras désolée, tu chercheras en vain ce monde nouveau où
ton esprit aura pénétré par la porte des romans ; tu ne ren-
contreras que déceptionsamères,cruels désappointements, les
devoirs ordinaires de la vie te paraîtront fades et pesants : ta
condition obscure sera prise en mépris par toi; tu ne rêveras
que délices auxquels tu ne pourras atteindre ; rien de ce qui
t'entoure ne répondra aux vœux désordonnés de ton cœur ;
la mélancolie rongera ton âge d'or et désenchantera les plus
beaux jours de ta vie, ces beaux jours auxquels la nature