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290 J. TERKAS ET C°. un surcroît de difficulté. Le seul appui sur lequel elle pût compter, tout faible qu'il était déjà , allait lui faire complè- tement défaut. En effet, Mouche-k-Miel avait diagnostiqué Juste : du jour où sa poitrine s'était pavoisée du ruban, le patron avait commencé à faiblir du cerveau. La tête se détraquait peu a peu, et le dérangement de ses facultés mentales ne tarda pas a devenir évident pour tout son entourage. Le brave Jérôme manifesta bientôt de singulières distractions, des lubies étranges. Par une opposition bizarre avec ses ambi- tieuses visées, ce dérangement affectait surtout dans la forme un caractère d'humilité touchante. On le voyait fré- quemment s'approcher de ses employés subalternes, leur sortir doucement l'ouvrage des mains, si modeste qu'il fût, insistant pour le faire à leur place. Un jour il s'obstina, auprès du garçon de magasin, à vouloir balayer lui-même. Un autre jour il voulait a toute lorce porter sur son dos une balle d'étoffe. Enfin, un beau matin, il monta a la Croix- Rousse, chez un vieux chef d'atelier, son ancien camarade d'apprentissage, dont les métiers avaient toujours travaillé pour la maison Terras. Arrivé la, il mit habit bas, suspendit pieusement sa croix à l'humble cheminée, et faisant des- cendre un ouvrier de son métier, il monta a sa place sur la banquette, et commença, comme il faisait quarante ans auparavant, à passer la navette et à couper son velours. Seulement, soit qu'il eût désappris, ce qui est bien naturel, soit qu'il ne fût pas dans son bon sens, ce qui était trop manifeste, le bon Jérôme massacrait tout l'ouvrage. Les témoins de cette singulière fantaisie, après un moment de stupeur, finirent par comprendre, et mandèrent en toute hâte Léopold Certeau et Philippe Charvet, qui n'eurent pas peu de peine à ramener chez lui l'infortuné patron. L'état mental de M. Terras fut désormais constaté; il fallut garder *