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212                   ALEXIS DE JUSSIEU.

ses défaillances, il vivait encore par le cœur, et quand je le
vis ce printemps, h Paris, il me rappelait avec émotion nos
communs épanchements d'autrefois, mais il était écrit que
ces dernières espérances deviendraient vaines. Le mal fit
d'effrayants progrès. La Religion, qui avait adouci ses épreu-
ves, vint consoler son agonie ; et, après avoir reçu plusieurs
fois les sacrements de l'Eglise, il s'éteignit à Reauvernay,
le 25 octobre dernier.
   Cette mort prévue, et pourtant prématurée, causa une
tristesse générale. Jussieu n'avait pas d'ennemis : il avait
épuisé toutes les amertumes de la vie, mais il ne fit jamais
déborder le calice sur personne. Ses amis sentirent tout le
vide qui venait s'ouvrir devant eux. Ceux qui l'avaient a peine
connu lui accordèrent leurs regrets. Il méritait toutes ces
sympathies. On se rappellera longtemps ce type attrayant
de sensibilité délicate, de grâce naturelle, de goût exquis,
d'inaltérable modération pour les hommes et pour les
choses. Rien ne surpassera le charme de son commerce, la
distinction de ses manières, la piquante expansion de ses en
tretiens, la finesse affectueuse et presque inimitable de sa
correspondance épistolaire ; cet esprit si réservé et si
soudain qui savait attendre qu'on le cherchât, et ne se fai-
sait jamais attendre dès qu'on lui avait fait appel; ce je ne
sais quoi enfin d'attachant, de doux et d'animé qui plaît a
tous, sans y viser, qu'on aime sans le savoir, et dont on
ne sent bien le prix qu'après l'avoir perdu.
   Pour moi, je n'oublierai jamais la place qu'a occupée dans
ces récentes années de ma vie ce cœur vraiment dévoué
qui, par un penchant rare et privilégié, aimait a se faire le
courtisan de la retraite.
   Quant à vous, Messieurs, s'il n'eut pas l'honneur de
compter dans vos rangs, vos annales gardent de lui une
belle page, et au jour qui verra inaugurer la statue d'Ampère,