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278 J. TERRAS ET C.
Fidèle néanmoins a son système d'effacement et d'abnéga-
'tion personnelle, elle n'en continuait pas moins de travailler
h l'ornementation de son glorieux époux, adoptant de bonne
grâce, mais avec discernement, tous les moyens de parer
son idole. Personne, mieux que le grand-prêtre, ne connaît
la nullité du morceau de bois qu'il se plaît à charger d'or-
nements, mais personne n'en convient moins. Il n'y croit_
pas, mais il faut que les autres y croient. Telle était au fond
la pensée de Mme Terras. Toutefois, elle mettait beaucoup
d'adresse et de prudence a cette sache délicate. Son mari
trouvait en elle à la fois l'agent zélé de ses succès et le gar-
dien vigilant de sa pauvreté intellectuelle. Elle était trop
habile pour laisser s'égarer la vanité du bonhomme en des
parages où l'insuffisance du sujet eût été trop manifeste-
ment étalée. Qu'il fût un personnage dans la paroisse et
dans la confrérie, elle ne le trouvait point mauvais, pensant
qu'il y pouvait jouer honnêtement son rôle. Mais elle sut tou-
jours le préserver de certaines dignités et fonctions où sem-
blait l'appeler sa grande position commerciale, et que sa
naïve confiance en lui-même eût abordées sans façon. Elle
ne lui permit jamais de s'aventurer plus loin dans cette voie
que le Conseil des prudhommes, par exemple, où le velours
avait toujours quelques représentants.
Cependant, de même que l'on voit souvent les ânes char-
gés de reliques oublier le peu qu'ils sont de leur fait, M. Jé-
rôme Terras, arrivé au pinacle , sentait parfois quelques
bouffées d'indépendance monter a son étroit cerveau jusque-
là un peu vide. Il se trouvait des idées ; il devenait raison-
neur, quelquefois agressif, jamais complètement rebelle,
non; la soumission lui avait trop bien réussi jusqu'alors.
Dès qu'il fallait agir, il s'effaçait par instinct et par habitude.
Mais il se répandait en paroles et le prenait de haut dans
les grandes questions sociales, politiques et religieuses. Il