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272                     1. TERRAS ET C.

 d'heure plus tard, il était dans son lit et dormait comme un
plomb jusqu'à cinq heures du matin, à moins qu'il ne fût déjà
à la Croix-Rousse à cette heure. Tel était Philippe Charvet
a trente-cinq ans. Lui avait-on jamais parlé de se marier?
Quant à lui, il n'avait jamais rêvé la possibilité d'une pareille
entreprise, vu la perte de temps et de travail qu'elle aurait
exigée. Il avait, comme tous les commis de fabrique, passé
sa jeunesse au milieu d'une foule d'ouvrières plus ou moins
jolies ; jamais il ne lui était venu en idée de prélever, dans
cette bergerie, les droits du seigneur que s'arrogent souvent
ces messieurs. Etait-ce faute de temps ou excès de vertu?
On prétendait que, pour Charvet, la femme n'avait jamais
existé.
    Il en était une pourtant que Philippe avait toujours admi-
rée jusqu'à l'idolâtrie, c'était Mme Terras, son active et
énergique patronne. Celle-ci, de son côté, aimait beaucoup
ses deux élèves, prisant fort leur capacité qui était son
œuvre et qui restait toujours pleine de déférence pour ses
lumières. En effet, si Mme Terras ne paraissait plus guère
dans ses magasins, où la direction suprême semblait tou-
jours appartenir au majestueux Jérôme, elle n'en restait pas
moins l'âme cachée qui soufflait son rôle à cette grosse nul-
lité, et faisait mouvoir ces deux bras intelligents et dévoués
qui s'appelaient familièrement pour elle Léo et Fifi. Elle ai-
mait a les recevoir souvent chez elle, afin de traiter avec
eux les cas difficiles et les grandes opérations. Seulement,
elle avait quelque peine à attirer dans son salon l'inculte
Fifi qui s'y trouvait à la gêne et dépaysé ; Léo, tout au con-
traire, avec s'a facilité générale, se trouvait à son aise et à
sa place partout.
   Car Fanny Bouchut avait un salon, des salons même. Elle
recevait beaucoup et bien ; elle voyait du monde et d'une
certaine valeur, au moins commerciale. Au dire des connais-