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250 LETTRES SUR LA SARDAIGNË. naient en abondance. Mais, hélas ! aujourd'hui, l'indifférence et l'impiété envahissent aussi notre pays, et la cause du mal, Monsieur , notre saint archevêque de Cagliari l'a très bien in- diquée dans son dernier mandement : ce sont les bateaux à vapeur. Quant à nos serments religieux , nous faisons vœu de pauvreté et d'obéissance , mais de chasteté, tanto che lo com- portera la natura. Et mon compagnon de route accompagna cette plaisanterie d'un éclat de rire vermeil. C'était un bon moine: un moine, la béatitude fait homme, et dont la ro- tondité prévenait en faveur de son caractère. Car, c'est un privilège dont jouissent les hommes gras ; on est disposé à croire à leur bonté et â leur franchise, tandis que les maigres, au contraire , sont toujours soupçonnés des inclinations les plus noires. Lui , du moins , ne faisait pas mentir le pro- verbe , et les poignées de main , les saluts amicaux qu'il échangeait avec tous les passants, faisaient foi de la sympathie générale , qui lui était acquise. Au reste, n'en déplaise aux libéraux intolérants , c'est une chose positive et qui semble toute naturelle, que cette affection du peuple pour ces moines- mendiants qui vivent avec lui, s'associant à toutes ses joies, partageant toutes ses misères. Mon moine était, en outre, un compagnon distrayant; il avait parcouru la Sardaigne dans tous les sens, l'aimait, comme tout cœur bien-né doit aimer sa patrie , et voulait ab- solument me faire partager son admiration. Il s'extasiait sur la beauté de la route, qui déroulait devant nous son ruban dépoussière; il poussait des exclamations , à la vue d'une pauvre rivière ensevelie sous les joncs de ses bords, et me forçait, de temps a autre , à boire quelques gorgées de vin de Monica qu'il portait avec lui , terminant toutes ses re- marques par ces mots : En avez-vous en France de pareil ? et sa figure s'épanouissait dans un sourire dédaigneux et triomphant. Aux portes de Paoli-Latino , il me fit admirer la