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488 quoique la terre ne date que d'hier, de ces systèmes frappés d'une décrépitude précoce tomber les uns sur les autres dans le creux du sépulchre pour en sortir ensuite revêtus d'une forme nouvelle et tout rayonnants d'une nouvelle vie! Les systèmes religieux eux-mêmes, qui sont les plus vivaces d'entre les sys- tèmes philosophiques, les systèmes religieux, ces organismes de fer que le temps ne semble pouvoir entamer, finissent par mourir comme tous les autres. L'arbre pyramidal qui avait longtemps couvert la terre de ses vastes rameaux et abrité peut-être cinquante générations d'hommes sous son om- bre, sent tout d'un coup le froid de l'hiver glacer la sève qui circulait dans son tronc, et ses feuilles jaunies tomber comme les cheveux blancs d'un vieillard. L'esprit de doute, pareil à un ouragan invisible, s'abat en sifflant sur ces bran- ches dévastées, et ses larges rafales passant et repassant le font frémir du dôme à la racine, l'enlèvent de terre et le jettent à bas, cadavre géant qui se décompose ensuite pour recomposer des êtres nouveaux. Ce que nous disons des idées, il faut le dire et des sentiments et des imaginations, il faut le dire de tous les faits de l'ordre moral quels qu'ils soient, tous naissent, grandissent et meurent, et nul d'entre eux n'existe isolément dans le monde. Nos senti- ments agissent sur nos idées, nos idées sur nos imaginations; nos idées, nos sentiments, nos imaginations à nous sur celles des personnes qui nous entourent et réciproquement; enfin tous ces phénomènes sont encore modifiés et en nous-mêmes et dans les autres par les institutions sociales et par les for- ces extérieures. Pascal mentait quand il disait : « Je porte mon beau temps et mon brouillard au dedans de moi. » S'il en est ainsi, comment voulez-vous donc comprendre Ra- cine en le séparant de son époque et de son pays, en le consi- dérant abstraction faite de la cour de Louis XIV dans laquelle il vécut et des tragiques grecs qu'il avait tant étudiés? Vous