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570                   LA REVUE LYONNAISE
 grasses de Normandie, les larges nappes de soleil sur les fonds
 humides, les taches de brume dans les lointains, les averses furieuses
 qui cinglent les près d'un vent intense, l'air bonasse du paysan à
 dessous finassier, tout ce qui fait cadre enfin d'ordinaire au conte de
 de Maupassant est enlevé et saisi avec un effort et une netteté de
 grand artiste. Jamais un morceau empâté, gribouillé, flou .. Il se
 condense, il se bride, il met son styleau pain sec... L'objet se déli-
mite tout d'un coup, se marque, se sculpte, se pousse pour ainsi
dire hors de sa place, pour faire irruption là, sous la main et sous
l'œil. Je crois M. de Maupassant plus apte à faire ressortir un relief
qu'à fouiller un creux, plus habile à éclairer des dehors que des
dessous, plus près de M. Zola que des Goncourt. Est-ce peur de
s'effacer dans la pénombre, d'entortiller sa phrase, de s'égarer dans
des dégradations infinies de teintes, de faire plisser sa forme ronde
et pleine, de ne plus pouvoir se débrouiller dans ces travaux de
Liliputien ? on le penserait. Car il semble vraiment être plus à
l'aise dans la grosse peinture de Farce normande et dans la licen-
cieuse joyeuseté des Sabots que dans le croquis pimpant et méticu-
leux du Menuet.
   Vigueur de pinceau vient de santé d'esprit. Aussi M. de Mau-
passant sait rire. Il rit à la façon d'un Flamand... à se fausserune
côte, à se déchirer quelque chose. Son Morin est un bonhomme de
Téniers. Le petit intérieur bourgeois où on le voit, le dos à un ample
fauteuil avec des sinapismes aux jambes et des compresses d'eau
froide sur le crâne, est une cocasse scène de Gérard-Dow.
   Où diable M. de Maupassant a-t-il pris le modèle de son Testa-
ment? Il est unique ce testament. Proudhon en ses haines de Suc-
cessions légitimes n'eût pas rêvé loi plus commode. Le Code
Napoléon serait-il un mythe? Et ce Testament aurait-il été déposé
chez un notaire... de Salente?
   Les Deux Amis sont un conte à la façon de Daudet, vif, preste,
piqué de lumière, joli de détails, où deux petits bourgeois
pèchent dans une eau claire à côté de Prussiens qui bivouaquent.
La Peur, un ressouvenir d'Hoffmann. Une Aventure parisienne,
une blague d'après-dîner à la Monselet. Un Réveillon, une fan-
taisielugubre à la Villiers de l'Isle d'Adam.
   C'est assez dire que M. de Maupassant a un talent qui se moule