Revue lyonnaise » n°6 ( 1883 ) » pp.543

                       SOUVENIRS D'ALGER                            543

 colonnes, plaqué de faïences aux couleurs rives, le président, un
 petit gros d'une laideur triste, encadré de deux conseillers quel-
 conques, dont l'un personnifie l'ennui révolté, l'autre, l'ennui
 résigné : les deux philosophes de « l'orgie romaine », contresigne
 les arrêts rendus par une douzaine de bonnetiers, de charcutiers et
 de marchands de bric àbrac, solennels et béats, comme il convient
 à des gens qui passent sans transition de la dépendance et de
 l'obscurité d'une petite boutique à l'éclat et à la toute-puissance
 d'un grand prétoire. Le président n'est pas content. La presse, cette
 aimable presse d'Alger qui fait et défait les magistrats, ne lui a pas
 été favorable. Un de ses prédécesseurs avait inventé pour elle des
 cartes d'entrée permanentes sur carton riche, un autre lui avait
fait installer une table et des bancs, un troisième avait ajouté des
 plumes, de l'encre et du papier, un quatrième avait remplacé les
bancs par des fauteuils, et tous avaient été remerciés en quelques
lignes protectrices, remerciement d'us puissant que son inférieur
 oblige! Lui, lui seul, venu trop tard dans un monde trop préve-
 nant, n'a pas trouvé le moyen de payer sa bienvenue. On lui a bien
 conseillé d'offrir des rafraîchissements, voire une tombola qui se
 serait tirée dans les entractes, il a reculé devant l'énormité de l'in-
 novation, peut-être de la dépense. Recul funeste ! Il a cherché à
pallier sa faute par un redoublement de bonne grâce, il a ôté sa
toque galonnée d'or devant messieurs les jurés, leur a adressé une
série graduée de révérences et de sourires, et n'a pas manqué une
occasion d'exalter leur haute intelligence ; il a choisi les notes les
plus melliflues de son clavier vocal pour prier messieurs les huis-
de vouloir bien exécuter les actes les plus naturels de leur minis-
tère; sordides, irrespectueux, rébarbatifs, les huissiers ont mal obéi
ou n'ont pas obéi du tout ; il n'a rien dit. Encore sous le coup de la
récente circulaire municipale qui leur enjoint de ne pas se faire
craindre mais de se faire aimer, les agents de police ont échangé
avec les accusés des cancans, des calembours et du tabac; il n'a
rien dit. De jeunes stagiaires à qui l'aplomb, le superbe aplomb al-
gérien tient lieu de talent, se sont livrés à de pitoyables écarts de
langage, couvrant d'outrages l'accusation, et de fleurs le crime ; il
n'a rien dit. Des cris d'animaux domestiques et sauvages ont égayé
la séance quand l'intérêt languissait, on a vu se promener à la ga-