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282                  LA REVUE LYONNAISE
   D'après ce jugement, auquel nous nous associons pleinement, on
comprend qu'il ne faut pas chercher en Garcia un poète original,
un poète personnel, mais seulement un poète de reflet, encore ce
reflet est-il celui d'une décadence, car Gongora et Quévedo, — un
hôtel de Rambouillet tout entier réuni dans le premier, et poussé
jusqu'au génie, un Scarron, autrement vigoureux que le nôtre, en
même temps qu'un Sénèque chez le second, — ne pourront jamais
passer pour des talents sains. Ce qu'il y a en eux, c'est le fleuve
bourbeux, chargé de paillettes d'or et parfois de lingots, mais
n'ayant nulle ressemblance avec le cours d'eau majestueux et fort,
qui chasse les sables et ne roule que des rocs puissants comme lui.
Etudions donc le gongorisme et le quévedisme, deux formes du
mouvement littéraire qui affligea à cette époque toute l'Europe.
Simultanément, les Euphuistes avec Lily, les Marinistes, avec le
fameux chevalier Marino, — dont Philarète Chasles dessine l'amu-
sante silhouette — et chez nous, ces Précieux qui eurent Godeau
pour évêque, Voiture pour épistolier, et Corneille un moment pour
complice, sont la manifestation identique d'une même idée. Il
semble que tout est usé, et de même qu'au seizième siècle on a
voulu conquérir le Gapitole, et parler en français, grec et latin, de
même, à tous les coins de l'Europe, le lettré veut parler autrement
que le vulgaire, et contraint de remplacer le latin démodé par la
langue commune, il la veut annoblir et faire sienne. Au poète, il
semble que chanter ce qu'il voit n'est pas peindre la nature assez
belle et la vie assez riante, et il imagine un monde baroque qu'il
doit peindre en termes non moins étranges. Le résultat de cette
conception merveilleuse est le poème de Las Soledades, si inintel-
ligible, qu'un commentateur, après avoir consacré des volumes à
l'interpréter, déclare l'œuvre si belle, qu'il cesse de la comprendre.
En même temps, a lieu l'invasion du grotesque, si méprisé de Boi-
leau, mais qui, du moins, avait cet avantage d'éviter les grands
mots et les phrases creuses. Il vient d'Italie par Merlin Goccaie,
parles Macaroniques, il produit en France Scarron, en Espagne
 Quévedo, mais par influence plutôt que par descendance directe
— car Quévedo reste un de ces colosses qui supportent toutes les
imperfections sans que leur beauté générale en soit altérée. — Le
 gongorisme ne suffit plus, il n'admet la bizarrerie que dans l'ex-