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214 LA R E V U E LYONNAISE Pendant cinquante années d'une vie laborieuse, Jean Tisseur avait apporté le concours de sa lumineuse intelligence à toutes les branches de l'activité lyonnaise. Critique, économiste, philosophe, poète, il était tout cela. L'œuvre de l'éco- nomiste, les services inappréciables rendus à l'industrie locale par la pénétration d'esprit de celui qui fut trente ans secrétaire de la Chambre de commerce, M. Ed. Aynard, dans une forme pure et concise, l'a définitivement résumée. (Courrier de Lyon du 28 juillet.) On n'y reviendra pas. Il est nécessaire pourtant de bien faire comprendre que l'unité de la vie et de l'œuvre de Jean Tisseur n'est si remarquable que parce que la même philosophie présidait à toutes les deux. C'était un idéal pratique que cet esprit si profondément sensé, si harmonieuse- ment pondéré, avait pris pour drapeau de sa vie littéraire. Jean Tisseur, en effet, était avant tout un critique et un poète, deux états plus rapprochés qu'on ne croirait souvent ; mais le sang d'une race de travailleurs obscurs criait dans ses veines, comme il l'a dit, et il cherchait la poésie, l'âme du milieu où ils avaient jvécu. C'est ainsi que les affinités de la poésie et de l'industrie avaient ébloui ses regards. Peu nombreux cependant sont les poèmes qu'il nous laisse. Les principaux : Idylle grecque, la Locomotive (1847) et le Pèlerinage au tombeau de Jacquard (1851) suffiraient chacun à la renommée d'un écrivain. Nous ne parlerons que de ce dernier qui est une grande œuvre mais à qui les procédés de conception et de travail du poète n'ont peut-être pas donné le caractère définitif qui revêt les chefs- d'œuvre. Les œuvres poétiques de Jean Tisseur, plus volontaires qu'inspirées, se ressentent d'une préoccupation commune aux grands écrivains lyonnais. Seuls, Pierre Dupont et Louisa Siefert, quoique secondaires, y ont échappé. C'est une contexture de forme, une recherche de prosodie qui paralyse les coups d'ailes. Allons au fond de Soulary, de Jean Tisseur, de Laprade lui-même, leur poète à tous est Chénier. Et cela, par un instinct, par un sens de l'antique que la renaissance italienne a apporté à Lyon, en le dénaturant toutefois. La poésie de Jean Tisseur, distincte de ces œuvres et moins égale qu'elles, a l'apparence d'une de ces tapisseries de haute lisse (son nom était prédestiné) dont on admire le travail sans se laisser transporter par l'image. Il tient en cela de Boileau et surtout par le bon sens suprême de toutes ses productions. Dans le Pèlerinage à Oullins, par exemple, on admire un art poétique n'ayant gardé de la tradition classique que ce qui la fait supérieure à l'absolue émancipation moderne. 11 appartient à cette génération favorisée qui fut pétrie par les demeurants de la vieille école et moulée par les arrivants de la nouvelle. La pensée est aisée, sans hardiesse, sans faiblesse non plus. Quant à la forme, elle s'émancipe aux bons endroits pour s'endiguer ensuite cor- rectement dans ce que nous [appellerons le récitatif. Mais ce qui nous frappe surtout dans ce poème et qui justifierait notre évocation du nom de Boileau, c'est le grand nombre de vers ou de distiques enserrant vigoureusement une idée belle et complète et la gravant dans l'esprit avec une netteté de proverbe ou de médaille. Nous les énumérerons au passage. Le poète donc se réveille avec l'aurore et traverse Lyon, pour aller saluer Jacquard sur sa tombe. Mais, se demande-t-il, Sa gloire d'un rayon en sera-t-elle accrue ?... Non, le métier qui bat au coin de cette rue