page suivante »
MOLIERE ET LE DUEL 21 II Parmi les passages assez nombreux où apparaît, dans les comé- dies de Molière, la question d'honneur, il y a une distinction es- sentielle à faire : il faut mettre d'un côté ceux où les souvenirs du théâtre espagnol dominent, et, de l'autre, ceux où la verve fran- çaise parle seule. Dans les premiers, la matière est traitée d'après une opinion toute faite, en quelque sorte sur un patron uniforme. Les sentiments exprimés y sont les mêmes que dans Corneille, la langue seule diffère. Remarquez que dans la plupart de ces pas- sages le lieu de l'action n'est point en France. A vrai dire, cela n'a pas une importance extrême, mais on doit cependant, ce nous semble, tenir compte de cette observation. Molière et les écrivains du grand siècle ne s'attachent pas à farcir leur style de ce qu'on appelle la couleur locale, au point d'être comme certains écrivains de nos jours ', parfaitement incompréhensibles, et de ne pouvoir être lus qu'un dictionnaire à la main. Ils peignent, et c'est ce qui assure à leur gloire l'immortalité, sous des noms et des aspects divers, l'humanité elle-même, clans ses traits généraux, dans ses passions et ses misères, qui sont de tous les temps et de tous les lieux. Ils ne se bornent point à prendre, comme on fait main- tenant, un accident particulier, un trait bizarre, anormal, mon- strueux dans la nature, et à le dépeindre jusque dans ses moindres détails, même et surtout les plus hideux. Ils voient plus loin et font plus grand. Quoi qu'il en soit, la remarque que nous venons de faire, sans en exagérer la portée, nous semble seule expliquer ce qu'il peut pa- raître quelquefois y avoir de contradictoire entre les façons de voir de notre auteur. Apportons quelques exemples à l'appui de ce que nous venons d'avancer. Don Juan vient de sauver la vie à don Carlos, le frère d'Elvire, qu'il a séduite et lâchement abandonnée : le péril passé, les deux i Par exemple, la Salammbô, de Gustave Flaubert.