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404 POÉSIE. Son frère eut un moment de volupté farouche ; Même un cri triomphal s'échappa de sa bouche, Pendant qu'il brandissait encor l'infâme épieu « Homme, j'ai châtié l'injustice d'un Dieu!... » Mais quand vint Iaveh, dans un coup de tonnerre, Lui jeter cet appel : Qu'as-tu fait de ton frère?... Le meurtrier fut pris d'une horrible stupeur, Il n'osa pas s'enfuir au désert Il eut peur ' De servir de pâture à quelque bête fauve. « Pour d'innombrables jours, Kaïn, ta vie est sauve » « Dit la voix Va parmi les tigres, sans effroi « Vivre est le châtiment que j'ai choisi pour toi. » Kaïn, le front marqué d'un signe d'infamie , Prit sa route à travers la nature ennemie ; Les fauves respectaient le sombre voyageur ; Sur lui pesait le bras du Dieu fort et vengeur. Sa race pullula comme un limon funeste, Livrée aux noirs fléaux — guerre, famine, peste. — Ses fils mouillaient en vain le sol de leur sueur, En vain ils s'épuisaient dans un âpre labeur ; Rien ne venait à bien, ni bétail, ni semailles ; Quoi qu'ils fissent, la faim déchirait leurs entrailles Et le père traînait, par les monts et les bois, Comme un troupeau de loups, sa famille aux abois. Un jour, errant ainsi de repaire* en repaire, Le malheureux revient vers le toit de son père. Je ne sais quelle angoisse, excitant son retour, L'avertit que sa mère atteint son dernier jour. La voir adoucira son mal inguérissable 11 franchit le désert, arrive... et sur le sable, Au seuil de la maison, s'affaisse en gémissant. Adam qui l'aperçoit recule frémissant Et s'éloigne, impuissant désormais pour maudire. L'homme aux haillons poudreux demeure sans rien dire ;