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                             L'AVEUGLE                              421
Saiut-Gérand, la faire élever, lui constituer une dot!... Pauvre
Valette, tu peux encore expier ta faute avant de mourir.

   C'est fini : je suis aveugle !

   Le journal s'arrêtait là avec un post-scriptum, dans lequel
l'aveugle me priait de faire remettre son petit trésor à l'orpheline.
Je ne perdis pas un moment, et me rendis à la pension des Ursu-
lines, où Jeanne Saint-Gérand était élevée. C'était un dimanche.
L'office du soir venait de commencer. J'entrai dans la partie de la
chapelle réservée au public. Des chants pieux se firent entendre ;
une voix s'éleva au-dessus des autres, et ses accents m'allèrent au
cœur. Elle était pleine, vibrante, pourtant suave et toute em-
preinte de tendresse mélancolique... Si c'était elle!
   J'ai vu la supérieure, fait ma commission, et reçu ses remercie-
ments. « Vous avez sans doute connu les parents de Jeanne, dit-
elle? — Non, Madame, mais j'ai beaucoup connu un ami plein de
cœur qui s'intéressait à votre pensionnaire, et qui, avant de mourir,
m'a chargé de venir vous voir... —C'est étrange, répondit-elle;
à la fin de chaque mois, nous recevions par la poste une somme
pour Jeanne Saint-Gérand, avec ces mots au bas de la lettre :
« Priez pour l'aveugle. » Votre peu de surprise me prouve que
vous le connaissiez... Il est donc mort? — Oui, Madame, il est
mort... Et sa protégée... — Sa protégée? la plus douce, la plus
intelligente, la meilleure élève qu'on puisse rencontrer... Mais il est
bien juste qu'elle vous fasse ses remerciements en personne. Vous
avez dû l'entendre à l'office du soir. Une voix!... je vais vous la
chercher... »
   Elle vint... C'est bien ainsi qu'avait dû être « madame Caroline » :
élancée, gracieuse, avec ce beau regard et ce bon sourire dont
parlait l'aveugle. « Remerciez Monsieur, fit la supérieure; il s'est
bien dérangé pour vous rendre service, et c'était l'ami intime du
mystérieux protecteur pour lequel vous avez si souvent prié; plus
tardje vous donnerai des détails... Adieu , Monsieur, je vous en-
verrai régulièrement des nouvelles de Jeanne.

  Deux ans avaient passé : « Tu devrais te marier, médit un jour