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336                  LA R E V U E LYONNAISE
j'ai naturellement demandé de vos nouvelles. » Suivirent quelques
 phrases assez banales sur la maladie, le rétablissement, et j'en
profitai pour jeter un coup d'Å“il autour de la chambre.
 - Elle était très simple, mais propre., Un lit en noyer, bien verni,
quatre chaises, une. table, un petit bureau, un vieux fauteuil cerise,
 des rideaux à la petite fenêtre, en composaient à peu p'rès tout l'a-
meublement. Mais une particularité me frappa : entre la fenêtre
 et la cheminée, était horizontalement suspendu un sabre d'officier
 de cavalerie. Au dessous, deux pistolets formaient un ovale au
 milieu duquel je vis, avec un étonnement facile à comprendre, le
 ruban rouge du légionnaire et... la croix!
 • . La conversation cependant durait toujours. Mû par un double
 courant,d'idées et de sensations, je reportais mes regards du lit, où
 se cachait cette main crispée sur l'or, au trophée suspendu à la mu -
raille : « Vous avez été militaire? fis-je à l'aveugle. — Oui, mon-
sieur, et officier de cavalerie. —Cette croix?...—M'appartient. —
Gomment se fait-il alors que vous n'ayez pas une pension de re-
traite? — Ah! Monsieur, c'est que j'ai quitté le service prématuré-
ment, répondit-il avec un soupir douloureux- « Il eût été indiscret
de prolonger la conversation. Je le quittai, en exprimant le désir
de retrouver bientôt mon stationnaire sur le pont des Arts.
    « Ainsi donc, c'est un avare, me disais-je en descendant. Tout
me le prouve; son âpreté à recevoir les aumônes par le froid le
plus rigoureux, ses tirades interminables sur les riches bienfaisants,
cet or dans la chambre du pauvre, cet or compté, caressé et caché.
Oui, c'est un avare ! Privé de la vue, sans amis, sans plaisirs, sans
espérances, il se sera rattaché à la vie par une passion... Et pour-
tant, son air, la distinction de ses traits, cette chaleur d'expres-
sion, lorsqu'il parlait de ses bienfaiteurs, cette résignation sereine,
ces souvenirs glorieux !... » Puis, je me prenais de nouveau à son-
ger aux louis d'or cachés sous la couverture, à l'hésitation, à l'em-
barras, à la surprise visible de l'aveugle, lorsque j'étais entré
dans sa chambre.
    Quelques jours avant les dernières fériés, j'avais assisté en cu-
rieux au cours d'un célèbre professeur de la Faculté de médecine.
Il nous avait parlé des aveugles, de leurs habitudes, de leurs
goûts et de leur passion favorite. « C'était l'avarice, disait-il, qui