Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                          VICTOR HUGO                               9
point surprenant que le roman, où une semblable faculté peut se
déployer à l'aise, l'ait tenté fréquemment. Abstraction faite de
Qui qu'en grogne, annoncé depuis tant d'années et qui probable-
ment ne verra jamais la lumière, il a abordé une dizaine de fois, ce
genre, si peu connu des anciens, si cher aux modernes et qui, dans
l'Europe contemporaine, tend à supplanter l'histoire et le drame, en
racontant les faits plus vivement que l'une, en faisant agir les
personnagee plus librement que l'autre. En 1818, à l'âge de seize
ans, on affirme qu'il improvisa en quinze jours les pages ardentes
de son Bug Jargal, un conte de pirates et de contrebandiers, qui
neparut qu'en 1825. En 1823, il avait donné son Han d'Islande,
où éclataient, dès la première heure, son amour pour l'horrible
et sa recherche des antithèses. C'en était une déjà, et des plus
frappantes que la conception d'un pareil ouvrage au moment où il
l'écrivait, puisque ce fut au milieu des élans les plus purs et les
plus tendres de sa passion pour sa jeune fiancée, pour la compagne
de son enfance, qu'il imagina ces inventions bizarres et presque
monstrueuses. C'est avec le produit de ce roman terrible, on l'as-
sure, qu'il lui acheta son châle de noces. En 1829, dans le Dernier
jour d'un condamné, il préluda par une étude psychologique
d'une intensité douloureuse à ses futures protestations contre la
peine de mort. La nouvelle de Claude Gueux, insérée en 1834
dans la Revue de Paris, fut inspirée par des préoccupations ana-
logues.
   Mais, dans l'intervalle, en 1831, Hugo avait publié celui de ses
romans qui a joui de la vogue la plus longue et qui résistera le
mieux à l'action du temps. Certainement Notre-Dame de Paris a
vieilli; on y admirait autre fois bien des choses qui maintenant nous
font sourire. Lo dogme d'une irrésistible fatalité y est développé à
l'excès ; la science archéologique y surabonde, s'épanchant en
dissertations inépuisables sur le moyen âge et sur l'art gothique :
le mélange volontaire de la grâce et de l'énergie, du beau et du
laid, du simple et du bizarre, y amène plus d'une dissonnance ;
maint incident y est exagéré, faux ou de mauvais goût. Mais on
peut y louer en revanche une intrigue dramatique, de brillantes
qualités, des défauts séduisants, des types originaux qui ne sau-
raient être oubliés, et la poétique danseuse des rues Esmeralda