Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
    184                  LA R E V U E LYONNAISE
    de quatre années, ma fortune, tout en étant loin de ce qu'elle est
    devenue aujourd'hui, me permettait de considérer comme atteint
    le but que je m'étais proposé, et de revenir en France. Je quittai,
    non sans émotion, l'excellent ami à qui je devais tout, et je
    partis.
        « Pendant ces longues heures d'exil, je puis bien les nommer
     ainsi, j'avais reçu assez régulièrement des lettres de ma femme,
    mais j'y avais cherché en vain quelques mots venant du cœ/ar,
    quelque indice me montrant qu'elle comprenait et reconnaissait mon
     sacrifice. Sans le souvenir de ma fille j'aurais manqué de force.
    Elle ne m'aimait plus, en admettant qu'elle m'eût jamais aimé. Mais,
    je l'avoue à ma honte, l'espoir persistait en moi de conquérir cette
     âme rebelle, et si j'échoue, me disais-je, le fruit de mes peines ne
     sera pas perdu, ma Séverine en profitera toujours.
        « Ma femme me fit toutefois un accueil assez bienveillant et parut
     entendre avec complaisance l'exposé des résultats que j'avais ob-
     tenus et des projets que je nourrissais pourl'avenir. En effet, mon
     séjour aux Indes n'avait jamais été, à mes yeux, que le moyen
     de me procurer ce que je jugeais indispensable ponr fonder une
     maison à Paris. L'appui que m'avait promis mon patron anglais,
     les relations qu'en travaillant chez lui il m'avait été loisible de
     faire avec des gens qui avaient pu apprécier ma probité et mon
     exactitude, tout concourait à me montrer la réussite comme facile,
     et l'événement ne me trompa point, Mais, quand le sort semblait
     me sourire, ma femme me désolait par sa froideur, et non seule-
     ment j'avais dû renoncer à la faire revenir à moi, mais un affreux
     soupçon envahissait mon esprit et s'y implantait plus fortement
     chaque jour. Que s'était-il passé pendant mon absence? Gomment
     avait-elle respecté mon nom, cette femme pour laquelle je m'étais
     expatrié, pour laquelle je m'étais privé de la vue de mon enfant et
     qui maintenant me traitait en étranger? Ses allures étaient singu-
     lières, je sentais que sa pensée, ses préoccupations n'étaient pas
     à notre intérieur; quand, ce qui était rare, un sourire éclaircissait
     sa physionomie, ordinairement grave et dédaigneuse, on eût dit
     qu'il s'adressait à des absents.
        « Environnée de tout le luxe que jadis elle souhaitait avec tant
N
     d'ardeur, elle y paraissait indifférente. J'essayai de surveiller ses